r la longueur des etalages, et s'assurer
qu'elle n'excedait pas celle du terrain concede. On assure qu'ils
etaient enclins a usurper. Je les ai pourtant tenus pour fort honnetes
gens. Il me fut donne de connaitre assez particulierement l'un d'eux, M.
Debas, qui ne fut point des plus prosperes, et dont je ne puis me
rappeler le souvenir sans attendrissement.
II
Durant plus d'un demi-siecle, il posa ses boites sur le parapet du qui
Malaquais, vis-a-vis de l'hotel de Chimay. Au declin de son humble vie,
travaille du vent, de la pluie et du soleil, il ressemblait a ces
statues de pierre que le temps ronge sous les porches des eglises. Il se
tenait debout encore, mais il se faisait chaque jour plus menu et plus
semblable a cette poussiere en laquelle toutes formes terrestres se
perdent. Il survivait a tout ce qui l'avait approche et connu. Son
etalage, comme un verger desert, retournait a la nature. Les feuilles
des arbres s'y melaient aux feuilles de papier, et les oiseaux du ciel y
laissaient tomber ce qui fit perdre la vue au vieillard Tobie, endormi
dans son jardin.
L'on craignait que le vent d'automne, qui fait tourbillonner sur le quai
les semences des platanes avec les grains d'avoine echappes aux musettes
des chevaux, un jour, n'emportat dans la Seine les bouquins et le
bouquiniste. Pourtant il ne mourut point dans l'air vif et riant du quai
ou il avait vecu. On le trouva mort, un matin, dans la soupente ou
chaque nuit il allait dormir.
Je le connus dans mon enfance, et je puis affirmer que le trafic etait
le moindre de ses soucis. Il ne faut pas croire que M. Debas fut alors
l'etre inerte et morne qu'il devint quand le temps le metamorphosa en
bouquiniste de pierre. Il montrait, au contraire, dans son age mur, une
agilite merveilleuse d'esprit et de corps et il abondait en travaux.
Il avait epouse une personne tres douce et si simple d'esprit que les
enfants, dans la rue, la poursuivaient de leurs moqueries, sans parvenir
a troubler cette ame innocente. Laissant sa bonne femme garder ses
boites de l'air et du coeur dont une fille de la campagne pait ses oies,
M. Debas accomplissait des taches nombreuses et tres diverses qu'un meme
homme n'entreprend point d'ordinaire. Et toutes ses oeuvres etaient
inspirees par l'amour du prochain. Cette charite faisait une belle voix
de tenor, il chantait le dimanche les Vepres dans la chapelle des
Petites Soeurs des pauvres; scribe et calligraphe, il ecrivait des
le
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