parce qu'ils sont a bon marche; et enfin de vieilles editions
d'anciens auteurs qu'on trouve a bon marche et qui sont achetez par les
pauvres qui n'ont pas moyen d'acheter les nouvelles."
Cette requete est d'Etienne Baluze, qui fut bon homme et vecut dans les
livres sans y trouver le digne repos qu'il y cherchait. Voici comment il
conclut:
"Ainsi il semble qu'on devroit tolerer, comme on a fait jusques a
present, les estallages tant en faveur de ces pauvres gens qui sont dans
une extreme misere, qu'en consideration des gens de lettres, pour
lesquels on a toujours eu beaucoup d'esgart en France, et qui, au moyen
des defenses qu'on a faites, n'ont plus les occasions de trouver de bons
livres a bon marche."
Les bouquinistes au XVIIIe siecle reconquirent le parapet pour la joie
des curieux. M. Uzanne nous apprend qu'ils furent inquietes de nouveau
en 1721. A cette date, une ordonnance du roi defendit les etalages des
livres a peine de confiscation, d'amende et de prison. On redigea des
requetes rimees en faveur des malheureux bouquinistes. C'est l'un d'eux
qui est cense parler sur le Parnasse, comme dit Nicolas:
Ces pauvres gens, chaque matin,
Sur l'espoir d'un petit butin,
Avecque toute leur famille:
Garcons, apprentis, femme et fille,
Chargeant leur col et plein leurs bras,
D'un scientifique fatras
Venaient dresser un etalage
Qui rendait plus beau le passage,
Au grand bien de tout reposant,
Et honneur dudit exposant,
Qui, tous les jours dessus ses hanches,
Excepte fetes et dimanches,
Temps de vacances a tout trafic,
Faisoit debiter au public
Denree a produire doctrine
Dans la substance cerebrine.
Ce n'est pas la sans doute l'Elegie pleurant en longs habits de deuil,
et je ne dis pas que ces plaintes soient eloquentes. Mais elles sont
raisonnables. Elles furent entendues. Les bouquinistes ne tarderent pas
a reprendre possession des quais.
Nourri sur le quai Voltaire, je les ai connus dans mon enfance, heureux
et tranquilles. M. de Fontaine de Resbecque les celebrait alors dans un
petit livre dont j'ai oublie le titre, ce qui est pour moi un grand
sujet de confusion. Le baron Haussmann, qui aimait excessivement la
regularite des lignes, pensa les chasser pour rendre les pierres des
quais plus nettes. Mais on lui fit entendre raison. Et les etalagistes
n'eurent plus d'ennemis que le "chien du commissaire" qui venait
parfois, inattendu, mesure
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