ollet de ma tunique. Pour
comble de misere, ce collet, loin de s'appliquer a mon cou, tendait a
s'en eloigner et baillait de la facon la plus disgracieuse.
J'avais, comme la cigogne, un long cou, qui, sortant de ce col evase,
prenait un aspect piteux et lamentable. J'en concus quelques soupcons a
l'essayage, et j'en fis part au tailleur-concierge. Mais l'excellent
homme qui, par l'effort de ses mains innocentes, avec l'aide du ciel,
avait fait une tunique et n'avait pas espere tant faire, n'y voulut
point toucher, de peur de faire pis.
Et, apres tout, il avait raison. Je demandai avec inquietude a maman
comment elle me trouvait. Je vous dis que c'etait une sainte. Elle me
repondit comme Mme Primrose:
"Un enfant est assez beau quand il est assez bon."
Et elle me conseilla de porter ma tunique avec simplicite.
Je la revetis pour la premiere fois un dimanche, comme il convenait,
puisque c'etait un vetement neuf. Oh! quand ce jour-la je parus dans la
cour du college pendant la recreation, quel accueil!
"Pain de sucre! pain de sucre!" s'ecrierent a la fois tous mes
camarades.
Ce fut un moment difficile. Ils avaient tout vu d'un coup d'oeil, le
galbe disgracieux, le bleu trop clair, les lyres, le col beant a la
nuque. Ils se mirent tous a me fourrer des cailloux dans le dos, par
l'ouverture fatale du col de ma tunique. Ils en versaient des poignees
et des poignees sans combler le gouffre.
Non, le petit tailleur-concierge de la rue des Canettes n'avait pas
considere ce que pouvait tenir de cailloux la poche dorsale qu'il
m'avait etablie.
Suffisamment cailloute, je donnai des coups de poing; on m'en rendit,
que je ne gardai pas. Apres quoi on me laissa tranquille. Mais, le
dimanche suivant, la bataille recommenca. Et tant que je portai cette
funeste tunique, je fus vexe de toutes sortes de facons et vecus
perpetuellement avec du sable dans le cou.
C'etait odieux. Pour achever ma disgrace, notre surveillant, le jeune
abbe Simler, loin de me soutenir dans cet orage, m'abandonna sans pitie.
Jusque-la, distinguant la douceur de mon caractere et la gravite precoce
de mes pensees, il m'avait admis, avec quelques bons eleves, a des
conversations dont je goutais le charme et sentais le prix. J'etais de
ceux a qui l'abbe Simler, pendant les recreations plus longues du
dimanche, vantait les grandeurs du sacerdoce et meme exposait les cas
difficiles ou l'officiant pouvait se trouver dans la celebration des
mysteres.
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