it pas une epingle. C'etait un couteau de poche, dont le
manche de cuivre representait la colonne Vendome.
"Montre, montre-moi ce couteau, m'ame Mathias. Donne-le moi! Pourquoi tu
ne me le donnes pas, dis?"
Immobile, muette, elle regardait le petit couteau avec une attention
profonde et je ne sais quoi d'egare qui me fit presque peur.
"M'ame Mathias, qu'est-ce que tu as, dis?"
Elle murmura, d'une voix faible que je ne lui connaissais pas:
"Il en avait un tout pareil.
--Qui donc ca? M'ame Mathias, qui donc qu'en avait un tout pareil?"
Et tiree par la robe, elle me regarda, de ses yeux brules, ou l'on ne
voyait que du rouge et du noir, toute surprise, comme si elle ne me
savait plus la, et elle me repondit:
"Mais c'etait Mathias, donc; c'etait Mathias.
--Qui Mathias?"
Elle se passa la main sur les paupieres qui resterent froissees et
tirees, mit soigneusement le couteau dans sa poche, sous son mouchoir,
et me repondit:
"Mathias, mon mari.
--Alors, tu l'avais epouse.
--Je l'avais epouse pour mon malheur! J'etais riche, j'avais un moulin a
Aunot, pres de Chartres. Il a mange la farine, l'ane et le moulin, et
tout! Il m'a mise sur la paille et, quand je n'ai plus rien eu, il m'a
quittee. C'etait un ancien militaire, un grenadier de l'Empereur, blesse
a Waterloo. Il avait pris du vice a l'armee."
Tout cela m'etonnait beaucoup; je reflechis un instant et je dis:
"Ton mari, ce n'etait pas un mari comme papa, n'est-ce pas, m'ame
Mathias?"
Mme Mathias ne pleurait plus; c'est avec une sorte de fierte qu'elle me
repondit:
"Des hommes comme Mathias, il n'y en a plus. Il avait tout pour lui,
celui-la! Grand, fort, et beau, et malin, et jovial! Et toujours bien
tenu, toujours une rose a la boutonniere. C'etait un homme bien
agreable!"
IV
L'ECRIVAIN PUBLIC
Dans l'humble maison que ma mere gouvernait avec sagesse, Mme Mathias
n'etait precisement ni femme de charge ni bonne d'enfant, bien qu'elle
s'occupat du menage et me menat promener tous les jours. Son grand age,
son visage fier, son caractere ombrageux et farouche, donnaient a sa
domesticite un air d'independance; elle gardait dans les soins les plus
familiers l'expression tragique d'une personne qui a eu des malheurs; le
souvenir lui en demeurait cher, et elle le conservait precieusement au
dedans d'elle. Les levres serrees par l'habitude du silence, elle
n'aimait point a raconter les aventures de sa vie passee.
Elle apparai
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