uee s'est repandue a terre et le petit Jean
est redevenu semblable a l'un de nous. Il n'est plus beau. Mais c'est
encore un solide gaillard. Il a ressaisi son fouet, et le voila qui tire
de l'orniere les six chevaux de ses reves. Les petits enfants imaginent
avec facilite les choses qu'ils desirent et qu'ils n'ont pas. Quand ils
gardent dans l'age mur cette faculte merveilleuse, on dit qu'ils sont
des poetes ou des fous. Le petit Jean crie, frappe et se demene.
Catherine joue encore avec ses fleurs. Mais il y en a qui meurent. Il y
en a d'autres qui s'endorment. Car les fleurs ont leur sommeil comme les
animaux, et voici que les campanules, cueillies quelques heures
auparavant, ferment leurs cloches violettes et s'endorment dans les
petites mains qui les ont separees de la vie. Catherine en serait
touchee si elle le savait. Mais Catherine ne sait pas que les plantes
dorment ni qu'elles vivent. Elle ne sait rien. Nous ne savons rien non
plus et, si nous avons appris que les plantes vivent, nous ne sommes
guere plus avances que Catherine, puisque nous ne savons pas ce que
c'est que vivre. Peut-etre ne faut-il pas trop nous plaindre de notre
ignorance. Si nous savions tout, nous n'oserions plus rien faire et le
monde finirait.
Un souffle leger passe dans l'air et Catherine frissonne. C'est le soir
qui vient.
"J'ai faim", dit le petit Jean.
Il est juste qu'un conducteur de chevaux mange quand il a faim. Mais
Catherine n'a pas un morceau de pain pour donner a son petit frere.
Elle lui dit:
"Mon petit frere, retournons a la maison." Et ils songent tous deux a la
soupe aux choux qui fume dans la marmite pendue a la cremaillere, au
milieu de la grande cheminee. Catherine amasse ses fleurs sur son bras
et, prenant son petit frere par la main, le conduit vers la maison.
Le soleil descendait lentement a l'horizon rougi. Les hirondelles, dans
leur vol, effleuraient les enfants de leurs ailes immobiles. Le soir
etait venu. Catherine et Jean se presserent l'un contre l'autre.
Catherine laissait tomber une a une ses fleurs sur la route. Ils
entendaient, dans le grand silence, la crecelle infatigable du grillon.
Ils avaient peur tous deux et ils etaient tristes, parce que la
tristesse du soir penetrait leurs petites ames. Ce qui les entourait
leur etait familier, mais ils ne reconnaissent plus ce qu'ils
connaissaient le mieux.
Il semblait tout a coup que la terre fut trop grande et trop vieille
pour eux. Ils etaient
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