es bergers et les bergeres.
Enfin, je me representais la creation comme une grande boite de
Nuremberg, dont le couvercle se refermait tous les soirs, quand les
petits bonshommes et les petites bonnes femmes avaient ete soigneusement
ranges.
En ce temps-la, les matins etaient doux et limpides, les feuilles vertes
frissonnaient innocemment sous la brise legere. Sur le quai, sur mon
beau quai Malaquais ou Mme Mathias, apres Nanette, Mme Mathias, aux yeux
de braise, au coeur de cire, promenait ma petite enfance, des armes
precieuses etincelaient aux etages des boutiques, de fines porcelaines
de Saxe s'y etageaient, brillantes comme des fleurs. La Seine qui
coulait devant moi me charmait par cette grace naturelle aux eaux,
principe des choses et source de la vie. J'admirais ingenument ce
miracle charmant du fleuve qui, le jour, porte les bateaux en refletant
le ciel, et la nuit, se couvre de pierreries et de fleurs lumineuses. Et
je voulais que cette belle eau fut toujours la meme, parce que je
l'aimais. Ma mere me disait que les fleuves vont a l'Ocean et que l'eau
de la Seine coule sans cesse; mais je repoussais cette idee comme
excessivement triste. En cela, je manquais peut-etre d'esprit
scientifique, mais j'embrassais une chere illusion; car, au milieu des
maux de la vie, rien n'est plus douloureux que l'ecoulement universel
des choses.
Le Louvre et les Tuileries qui etendaient en face de moi leur ligne
majestueuse, m'etaient un grand sujet de doute. Je ne pouvais croire que
ces monuments fussent l'ouvrage de macons ordinaires, et pourtant ma
philosophie de la nature ne me permettait pas d'admettre que ces murs se
fussent eleves par enchantement. Apres de longues reflexions, je me
persuadais que ces palais avaient ete batis par de belles dames et de
magnifiques cavaliers, vetus de velours, de satin, de dentelles,
couverts d'or et de pierreries et portant des plumes au chapeau.
On sera peut-etre surpris qu'a six ans j'eusse une idee si peu exacte du
monde. Mais il faut considerer que j'etais a peine sorti de Paris ou le
docteur Noziere, mon pere, etait retenu toute l'annee.
J'avais fait, il est vrai, deux ou trois petits voyages en chemin de
fer, mais je n'en avais tire aucun profit au point de vue de la
geographie.
C'etait une science tres negligee en ce temps-la. On s'etonnera aussi
que j'eusse du monde moral une conception si peu conforme a la realite
des choses.
Mais songez que j'etais heureux et que l
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