t entre elles un
esprit de corps assez estimable et fertile en bons procedes.
Par exemple, si le secret de leurs fautes n'est pas toujours assez bien
garde pour ne pas faire le tour de la ville en une heure, du moins y
a-t-il une barriere que ce secret ne franchit pas aisement. La ou cesse
l'apostolat de l'artisanerie cesse le droit d'avoir part au petit
plaisir du scandale. Ainsi l'aventure d'une grisette peut egayer ou
attendrir longtemps la foule de ses pareilles avant d'etre livree au
dedaigneux sourire des bas-bleus de l'endroit ou aux graveleux quolibets
des villageoises d'alentour.
Ces aventures ne sont pas rares dans une ville ou une seule classe de
femmes merite assez d'hommages pour accaparer ceux de toutes les classes
d'hommes: aussi voit-on rarement une belle artisane etre farouche au
point de manquer de cavalier servant. Tant de severite serait presque
ridicule dans un pays ou la galanterie n'a pas encore mis a la porte
toute naivete de sentiment, et ou l'on voit plus d'une amourette
s'elever jusqu'a la passion. Ainsi une jeune fille y peut, sans se
compromettre, agreer les soins d'un homme libre et ne pas desesperer de
l'amener au mariage; si elle manque son but, ce qui arrive souvent, elle
peut esperer de mieux reussir avec un second adorateur, et meme avec
un troisieme, si sa beaute ne s'est pas trop fletrie dans l'attente
illimitee du noeud conjugal.
A part donc les vertus austeres qui se rencontrent la comme partout en
petit nombre, les jeunes ouvrieres de L... sont generalement pourvues
chacune d'un favori choisi entre dix, et fort envie de ses concurrents.
On peut comparer cette espece de mariage expectatif au sigisbeisme
italien. Tout s'y passe loyalement, et le public n'a pas le droit
de gloser tant qu'un des deux amants ne s'est pas rendu coupable
d'infidelite ou entache de ridicule.
Il faut dire a la louange de ces grisettes qu'aucune ne fait fortune par
l'intrigue, et qu'elles semblent ignorer l'ignoble trafic que les femmes
font ailleurs de leur beaute; leur orgueil equivaut a une vertu; jamais
la cupidite ne les jette dans les bras des vieillards; elles aiment trop
l'independance pour souffrir aucun partage, pour s'astreindre a aucune
precaution. Aussi les hommes maries ne reussissent jamais aupres
d'elles. Il y a quelque chose de vraiment magnifique dans l'exercice
insolent de leur despotisme feminin. Elles sont aimantes et coleres,
romanesques on ne peut plus, coquettes et dedaigneus
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