verts qu'elles jetaient avec dedain
au milieu des allees apres y avoir enfonce les dents. Moyennant ce
procede aristocratique, au lieu d'une douzaine de peches et d'autant de
grappes de raisin qu'elles eussent pu enlever, elles trouverent moyen de
mutiler tous les arbres fruitiers et de mettre en lambeaux ces belles
treilles si bien suspendues, que le marquis lui-meme avait courbees en
berceaux et qui faisaient l'admiration de tous les connaisseurs.
Le marquis eut envie de prendre une des branches cassees dont elles
jonchaient le sable, et de leur _courir sus_ en les poursuivant comme
des chevres malfaisantes; mais il vit la grande taille de Joseph se
dessiner aupres d'Henriette, et, quoique brave, il ne se soucia point
d'engager avec lui une discussion qui pouvait devenir orageuse.
D'ailleurs il aimait Joseph et voyait bien qu'il n'approuvait pas
ce degat. Il prit un parti plus sage et plus cruel: il alla droit a
l'ecurie, fit sortir son cheval, atteler le char a bancs et conduire
l'un et l'autre a trois cents pas de la maison dans une grange dont il
prit la clef dans sa poche; puis il revint d'un air calme et rentra dans
le salon. Il n'y trouva personne; mais la Vengeance, qui le protegeait,
lui fit apercevoir du premier coup d'oeil quatre ou cinq grands bonnets
de tulle et deux ou trois chales de Bareges etales avec soin sur le
canape. Ces demoiselles avaient depose la leurs atours pour courir
plus a l'aise dans le jardin. Le marquis n'en fit ni une ni deux; il
s'etendit tout de son long sur les rubans et sur les dentelles, et ne
manqua pas d'allonger ses grosses guetres crottees sur le fichu de
crepe rose de mademoiselle Henriette. Il attendit ainsi, dans un repos
delicieux, que ces demoiselles eussent fini de devaster son verger.
Quand elles rentrerent, elles trouverent en effet le malicieux
campagnard qui feignait de dormir en ecrasant les precieux chiffons;
elles le maudirent mille fois et prononcerent, assez haut pour qu'il
l'entendit, les mots de vieil ivrogne.
--Fort bien! disait Henriette d'un ton aigre, il faut de la dentelle a M.
le marquis pour dormir en cuvant son vin!
--Ma foi! disait Joseph en se pincant le nez pour ne pas eclater de
rire, je trouve la chose singuliere et si drole qu'il m'est impossible
de m'en affliger. Vraiment! c'est dommage de reveiller ce bon marquis
quand il dort si bien, l'aimable homme!
En parlant ainsi, Joseph secouait doucement la main du marquis. Celui-ci
feignit l
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