a sa plus grande incertitude, et il eprouvait une joie et une
impatience tumultueuses. Il s'etait demande bien des fois depuis douze
heures si Genevieve etait un ange du ciel exile sur une terre ingrate et
pauvre, ou si elle etait simplement une grisette plus decente et plus
jolie que les autres. Cependant il n'avait pu reprimer une emotion
tendre et presque paternelle lorsqu'elle lui avait naivement demande de
l'instruire. Cet aveu paisible de son ignorance, ce desir d'apprendre,
cette facilite de comprehension, devaient lui gagner le coeur d'un homme
simple et bon comme elle. Il y avait sous cette inculte vegetation
une terre riche et fertile, ou la parole divine pourrait germer et
fructifier. Une ame sympathique, une voix amie pouvait developper cette
noble nature et la reveler a elle-meme.
Telle fut la conclusion que tira Andre de toutes ces reveries, et il se
sentit transporte d'enthousiasme a l'idee de devenir le Promethee de
cette precieuse argile. Il benit le ciel qui lui avait accorde les
moyens de s'instruire. Il remercia dans son coeur son bon maitre, M.
Forez, qui lui avait ouvert le tresor de ses connaissances; et, dans son
exaltation, peu s'en fallut qu'il n'allat aussi remercier son pere, qui
avait consenti a faire de lui autre chose qu'un paysan. Dans ses jours
de spleen, il lui etait arrive souvent de maudire l'education, qui, en
lui creant des besoins nouveaux, lui rendait sa condition reelle plus
triste encore. Maintenant il demandait pardon a Dieu d'un tel blaspheme.
Il reconnaissait tous les avantages de l'etude, et se sentait maitre du
feu sacre qui devait embraser l'ame de Genevieve.
Mais toutes ces fumees de bonheur et de gloire se dissiperent lorsqu'il
songea a la difficulte de revoir prochainement Genevieve et a la
possibilite effrayante de ne la revoir jamais. Il avait fait avec sa
liberte de la veille mille romans delicieux en parcourant a pas lents
les allees humides de la rosee du matin; mais, a force de se creer un
bonheur imaginaire, le besoin de realiser ses reves devint un malaise et
un tourment. Son coeur battait violemment et a chaque instant semblait
s'elancer hors de son sein pour rejoindre l'objet aime. Il s'etonna de
ces agitations. Il n'avait pas prevu qu'arrive a ce point l'amour devait
devenir une souffrance de toutes les heures. Il avait cru au contraire
que, du moment ou il aurait retrouve l'objet d'une si longue attente,
sa vie s'ecoulerait calme, pleine et delicieuse; qu
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