encore des
siecles de vie, car elle en sortirait comme la lave du Vesuve, et se
fraierait un chemin parmi les plus prosaiques realites. En depit de ses
temples renverses et des faux dieux adores sur leurs ruines, elle est
immortelle comme le parfum des fleurs et la splendeur des cieux. Exilee
des hauteurs sociales, repudiee par la richesse, bannie des theatres,
des eglises et des academies, elle se refugiera dans la vie bourgeoise,
elle se melera aux plus naifs details de l'existence. Lasse de chanter
une langue que les grands ne comprennent pas, elle ira murmurer a
l'oreille des petits des paroles d'amour et de sympathie. Et deja
n'est-elle pas descendue sous les ventes des tavernes allemandes? ne
s'est-elle pas assise au rouet des femmes? ne berce-t-elle pas dans
ses bras les enfants du pauvre? Compte-t-on pour rien toutes ces ames
aimantes qui la possedent et qui souffrent, qui se taisent devant les
hommes et qui pleurent devant Dieu? Voix isolees qui enveloppent le
monde d'un choeur universel et se rejoignent dans les cieux; etincelles
divines qui retournent a je ne sais quel astre mysterieux, peut-etre
a l'antique Phebus, pour en redescendre sans cesse sur la terre et
l'alimenter d'un feu toujours divin! Si elle ne produit plus de grands
hommes, n'en peut-elle pas produire de bons? Qui sait si elle ne sera
pas la divinite douce et bienfaisante d'une autre generation, et si elle
ne succedera pas au doute et au desespoir dont notre siecle est atteint?
Qui sait si dans un nouveau code de morale, dans un nouveau catechisme
religieux, le degout et la tristesse ne seront pas fletris comme des
vices, tandis que l'amour, l'espoir et l'admiration seront recompenses
comme des vertus?
La poesie, revelee a toutes les intelligences, serait un sens de plus
que tous les hommes peut-etre sont plus ou moins capables d'acquerir, et
qui rendrait toutes les existences plus etendues, plus nobles et plus
heureuses. Les moeurs de certaines tribus montagnardes le prouvent avec
une evidence eclatante; la nature, il est vrai, prodigue de grands
spectacles dans de telles regions, s'est chargee de l'education de ces
hommes; mais les chants des bardes sont descendus dans les vallees, et
les idees poetiques peuvent s'ajuster a la taille de tous les hommes.
L'un porte sa poesie sur son front, un autre dans son coeur; celui-ci
la cherche dans une promenade lente et silencieuse au sein des plaines,
celui-la la poursuit au galop de son cheval a t
|