en fraude! Il arreta son cheval a deux portees
de fusil de la maison et descendit; il s'approcha de la patache, pria
Joseph de descendre aussi, et, l'emmenant a quelque distance, il lui
confia son embarras. "Ouais! dit Joseph, ce vieux renard est-il sournois
a ce point-la? lui qui fait semblant d'etre si bon homme! Mais ne crains
rien; personne, fut-ce le diable, n'osera jamais regarder de travers
celui qui s'appelle Joseph Marteau. Monte dans ma voiture et donne-moi
le fouet du char a bancs; je passe le premier et je prends tout sur
moi."
En effet, Joseph fouetta d'une main arrogante les flancs respectables
du cheval du marquis, et il fit une entree triomphale dans la cour du
chateau. Le marquis etait precisement a la porte de l'ecurie. Depuis que
l'evenement terrible etait decouvert, le marquis n'avait pas quitte la
place, il attendait son fils pour le recevoir a sa maniere. De minute en
minute sa fureur augmentait, et il se formait en lui un tresor d'injures
qui devait mettre plus d'un jour a s'epuiser. Lorsque, au lieu de la
timide figure d'Andre sur le siege de sa voiture, il vit la mine fiere
et decidee de Joseph, il recula de trois pas, et, avant qu'il eut
articule une parole, Joseph, lui sautant au cou, l'embrassa si fort
qu'il faillit l'etouffer. "Vive Dieu! s'ecria le gai campagnard, que je
suis heureux de revoir mon cher marquis! il y a plus de six semaines
que j'ai le projet de vous amener ma famille; mais les femmes sont si
longues a se decider pour la moindre chose! Enfin je n'ai pas voulu
marier ma grande soeur sans vous la presenter: la voila, cher marquis.
Ah! il y a longtemps qu'elle entend parler de vous et de votre beau
chateau, et de votre grand jardin, et de vos etables, les mieux tenues
du pays. Ma soeur est une bonne campagnarde qui s'entend a toutes
ces choses-la; et puis voila les petites, une, deux, trois: allons,
mesdemoiselles, faites la reverence. Marie, essuie les pruneaux que tu
as sur la joue et va embrasser monsieur le marquis. Ah! c'est que c'est
un fier papa que le marquis. Demande-lui des dragees, il en a toujours
plein ses poches. Ah! ca, cher voisin, vous voyez que j'avais une fiere
envie de venir vous voir; des trois heures du matin j'etais dans la
chambre d'Andre. C'etait une partie arrangee depuis hier avec ces
demoiselles. Elles en grillaient d'envie. Moi, qui sais que vous etes le
plus galant homme et l'homme le plus galant de France, je voulais vous
les amener toutes; car e
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