ravers les ravins; un
troisieme l'arrose sur sa fenetre dans un pot de tulipes. Au lieu de
demander ou elle est, ne devrait-on pas demander ou elle n'est pas?
Si ce n'etait qu'une langue, elle pourrait se perdre; mais c'est une
essence qui nait de deux choses: la beaute repandue dans la nature
exterieure, et le sentiment departi a toute intelligence ordinaire. Pour
condamner a mort la poesie et la porter au cercueil, il nous faudra
donc arracher du sol jusqu'a la derniere des fleurettes dont Genevieve
faisait ses bouquets.
Car elle aussi etait poete; et croyez bien qu'il y a au fond des plus
sombres masures, au sein des plus mediocres conditions, beaucoup
d'existences qui s'achevent sans avoir produit un sonnet, mais qui
pourtant sont de magnifiques poemes.
Il faut bien peu de chose pour eveiller ces esprits endormis dans
l'epaisse atmosphere de l'ignorance; et pour les entourer a jamais d'une
lumineuse aureole qui ne les quitte plus. Un livre tombe sous la main,
un chant ou quelques paroles recueillies d'un passant, une etude
entreprise dans un dessein prosaique ou par necessite, le moindre hasard
providentiel, suffit a une ame elue pour decouvrir un monde d'idees et
de sentiments. C'est ce qui etait arrive a Genevieve. L'art frivole
d'imiter les fleurs l'avait conduite a examiner ses modeles, a les
aimer, a chercher dans l'etude de la nature un moyen de perfectionner
son intelligence; peu a peu elle s'etait identifiee avec elle, et chaque
jour, dans le secret de son coeur, elle devorait avidement le livre
immense ouvert devant ses yeux. Elle ne songeait pas a approfondir
d'autre science que celle a laquelle tous ses instants etaient forcement
consacres; mais elle avait surpris le secret de l'universelle harmonie.
Ce monde inanime qu'autrefois elle regardait sans le voir, elle le
comprenait desormais; elle le peuplait d'esprits invisibles, et son ame
s'y elancait pour y embrasser sans cesse l'amour infini qui plane sur
la creation. Emportee par les ailes de son imagination toute-puissante,
elle apercevait, au dela des toits enfumes de sa petite ville, une
nature enchantee qui se resumait sur sa table dans un bouton d'aubepine.
Un chardonneret familier, qui voltigeait dans sa chambre, lui apportait
du dehors toutes les melodies des bois et des prairies; et lorsque sa
petite glace lui renvoyait sa propre image, elle y voyait une ombre
divine si accomplie qu'elle etait emue sans savoir pourquoi, et versait
des pleurs
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