Que la
beaute soit la reine du monde, rien de mieux.
IV.
L'interieur de la famille Marteau etait patriarcal. La grand'mere,
matrone pleine de vertus et d'obesite, etait assise pres de la cheminee
et tricotait un bas gris. C'etait une excellente femme, un peu sourde,
mais encore gaie, qui de temps en temps placait son mot dans la
conversation, tout en ricanant sous les lunettes sans branches qui lui
pincaient le nez. La mere etait une menagere seche et discrete, active,
silencieuse, absolue, sujette a la migraine, et partant chagrine.
Elle etait debout devant une grande table couverte d'un tapis vert et
taillait elle-meme la besogne aux ouvrieres: mais, malgre son caractere
absolu, la dame ne leur parlait qu'avec une extreme politesse, et
souffrait, non sans une secrete mortification, que tous ses coups de
ciseaux fussent soumis a de longues discussions de leur part.
Aupres de la fenetre ouverte, les quatre ouvrieres et les trois filles
de la maison, pressees comme une compagnie de perdrix, travaillaient
au trousseau; la fiancee elle-meme brodait le coin d'un mouchoir. La
maitresse ouvriere, placee sur une chaise plus elevee que les autres,
dirigeait les travaux, et de temps en temps donnait un coup d'oeil aux
ourlets confies aux petites filles. Les grisettes en sous-ordre ne
comptaient pas cinquante ans a elles trois; elles etaient fraiches,
rieuses et degourdies a l'avenant. Les tetes blondes des enfants de la
maison, penchees d'un petit air boudeur sur leur ouvrage et ne prenant
aucun interet a la conversation, se melaient aux visages animes des
grisettes, a leurs bonnets blancs poses sur des bandeaux de cheveux
noirs. Ce cercle de jeunes filles formait un groupe naif tout a fait
digne des pinceaux de l'ecole flamande. Mais, comme Calypso parmi
ses nymphes, Henriette, la couturiere en chef, surpassait toutes ses
ouvrieres en caquet et en beaute. Du haut de sa chaise a escabeau, comme
du haut d'un trone, elle les animait et les contenait tour a tour de la
voix et du regard. Il y avait bien dix ans qu'Henriette etait comptee
parmi les plus belles, mais elle ne semblait pas vouloir renoncer de si
tot a son empire. Elle proclamait avec orgueil ses vingt-cinq ans et
promenait sur les hommes le regard brillant et serein d'une gloire a
son apogee. Aucune robe d'alepine ne dessinait avec une nettete plus
orgueilleuse l'etroit corsage et les riches contours d'une taille
imperiale; aucun bonnet de tulle n'etalait ses
|