es.
--Vous n'y perdrez rien, leur dit-elle gentiment, j'avais dit que ma dot
serait partagee par mes deux cousines. Nous ferons trois parts, au lieu
d'en faire deux, et d'ailleurs, qui sait si je me marierai jamais, car
je me sens bien sauvage.
En effet, Lucia aimait les bois, les ravins, les chutes d'eau. Il ne se
passait pas de jour qu'elle ne songeat a retourner au couvent; la gaiete
babillarde de sa tante et de ses cousines l'irritait jusqu'aux larmes,
quoiqu'elle les aimat toutes les trois. Elle aspirait au temps ou elle
se retrouverait seule. En attendant, la mode avait ses grandes entrees
au chateau; Lucia etait metamorphosee en Parisienne, tandis que tout un
ameublement Louis XVI panache de japonisme transformait les salons,
la salle a manger et les chambres habitables. On pouvait se permettre
quelques folies sur l'inspiration de la tante, car la fortune de Lucia
lui donnait cent cinquante mille livres de rente.
Apres un mois de sejour au chateau, ou on ne recevait que trois ou
quatre familles provinciales, oubliees et embeguinees, la tante et
les cousines reprirent la route de Paris a toute vapeur, quelque peu
surprises de voir que la chatelaine ne voulait pas etre du voyage.
Que ferait-elle la, seule pendant tout un hiver, avec une gouvernante
reveche et des serviteurs qui semblaient des fantomes, tant Lucia leur
avait imprime par sa dignite silencieuse le caractere de la solitude?
--Enfin nous respectons ta volonte, lui dit la tante, en l'embrassant,
tu vas mourir d'ennuis, tu es bien heureuse que je t'aie abonnee a _la
Vie parisienne_, et a _l'Art de la Mode_.
--Oh! ma tante, je ne lirai pas de journaux.
Lucia savoura pendant quelques jours le plaisir d'etre seule; elle alla
plus souvent au cimetiere, elle ne manqua pas la messe un seul jour.
Elle poursuivait ses reveries dans les sentiers perdus du parc,
s'egarant jusque dans les bois voisins. Le soir, elle lisait beaucoup;
ses romans, c'etait la vie des Saintes; elle regrettait de ne pouvoir, a
son tour, marquer une legende dans l'histoire chretienne.
Elle avait pourtant des aspirations mondaines. Le matin, devant sa
psyche, elle ne pouvait s'empecher de sourire a sa beaute, comme on
sourit au ciel, aux lys et aux roses, comme on sourit a la chanson et
a la melodie. Ce n'etait pas la beaute rayonnante des filles d'Eve: ce
n'etait que la vision de la beaute. Je ne sais quoi d'ideal et de divin;
mais comme l'ame illuminait la figure, les gran
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