ds yeux bleus sous les
cils noirs avaient une eloquence extrahumaine.
La gouvernante eut peur un jour de la voir suivre bientot sa mere; sans
lui rien dire, elle la mit a un regime tonique; comme elle etait
en pleine seve, elle reprit plus fortement racine; ses paleurs se
colorerent gaiement; la grace succeda a la delicatesse; ses bras en
fuseaux s'arrondirent; ses seins effaces souleverent sa robe. Ce fut
une demi-metamorphose, grace aux gelees de gibier et au vin de
Chateau-Yquem, sans que Lucia s'apercut de cette autre maniere de vivre.
Un matin d'hiver, apres avoir pendant quelques jours admire les
blancheurs de la neige, Lucia partit pour Paris, ou elle surprit sa
tante et ses cousines par sa beaute plus vivante.
"Helas! dit la plus jeune des cousines, qui n'etait pas jolie, si
j'avais la figure de Lucia, je me passerais bien de dot."
Lucia, sans se faire trop prier, voulut bien aller dans le monde; mais
comme elle etait inconnue partout, elle supplia sa tante de ne jamais
dire qu'elle fut riche, de la representer au contraire comme une
orpheline pauvre, bien plus pres du couvent que du mariage.
II
En ses derniers jours, Mme d'Harcours avait dit a sa fille: "Si tu dois
te marier, je veux que tu epouses Henry."
Henry, c'etait le fils d'un ami de M. d'Harcours, tue comme lui a la
bataille d'Orleans. Le fils etait alors lieutenant au 2e chasseurs
d'Afrique. Il connaissait le voeu de la mourante; mais, ayant appris
qu'elle se voulait faire carmelite, il s'etait retourne vers la premiere
des deux cousines que devait doter Mlle d'Harcours.
Voila pourquoi Lucia, le second jour de son arrivee a Paris, avait
rencontre M. Henry Malville chez sa tante. Il etait en conge pour les
derniers mois de l'hiver. Il ne lui plut pas a premiere vue, aussi
fut-elle contente quand elle s'apercut qu'il etait en conversation tres
familiere avec une de ses cousines.
--Jeanne, lui dit-elle, je veux que tu epouses M. Henry Malville; s'il
ne faut pour te decider qu'un collier de perles, je te donnerai le mien.
Quelle est donc la jeune fille qui refuserait un collier de perles et
un mari?--et un mari dans le galant uniforme des chasseurs d'Afrique,
bronze par le soleil, yeux fiers, moustache retroussee? Jeanne accepta
d'abord le collier de perles.
Si Lucia avait parle ainsi, c'etait dans la peur d'aimer Henry Malville.
III
A quelques jours de la, les deux cousines jouerent chez la duchesse
de *** une comedie de p
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