se promena, mais toujours les portraits la regardaient d'un oeil
fixe.
Lucia s'arreta devant la figure de son aieule, surnommee la visionnaire.
A force de la regarder, elle la retrouva vivante. C'etait un portrait
parlant, un chef d'oeuvre de Robert Lefevre, ce maitre portraitiste.
--Grand'maman, je t'en prie, ne me regarde pas comme cela. Je t'aime
bien, mais tu me fais peur.
Lucia retourna a la cheminee, une grande cheminee renaissance, qui
encadrait une glace a biseaux. Un manteau de plomb lui tomba sur les
epaules. Elle se sentit des pieds de marbre qui ne pouvaient plus
marcher.
Et le vent pleurait et hurlait toujours. "Si seulement j'avais un chien
avec moi," dit Lucia. Mais les chiens dormaient au chenil.
V
--J'ai peur, dit Lucia, et pourtant je ne suis pas une visionnaire.
Un livre ferme sur la table frappa son regard; elle l'ouvrit et lut
cette page:
"Quand Dieu eut cree dans l'esprit du bien les mondes innombrables qui
gravitent sous sa main, il crea l'esprit du mal, ne voulant pas que
l'homme put arriver a lui sans avoir combattu.
Au commencement du monde, le bien etait represente par un ange, le mal
par un demon, mais peu a peu Dieu retoucha a son oeuvre. Les ames en
peine qui ne sont ni du paradis ni de l'enfer, parce qu'elles ne
sont pas encore detachees ni du bien ni du mal, ont ete condamnees a
representer l'esprit de Dieu et l'esprit de Satan dans les ames de la
terre.
Voila pourquoi tout homme, toute femme qui vient au monde est le jouet
des ames en peine.
Tout en s'agitant dans le libre arbitre, on s'imagine que l'on vit en
liberte et qu'on fait ce qu'on veut. Mais on obeit sans le savoir a
cette ame en peine, qui a veille sur notre berceau et qui nous conduira
jusqu'a la tombe.
C'est une seconde ame qui s'amuse de nos passions, qui nous egare tour
a tour dans le bon ou mauvais chemin. Cette seconde ame, c'est la
conscience, c'est le repentir, c'est la divination; elle nous apparait
ca et la sous diverses metamorphoses. C'est elle qui s'appelle la
vision, le pressentiment, le fantome, le miracle.
Celui ou celle qui prie et qui pleure, voit apparaitre sa conscience;
tous les pecheurs qui se repentent, la verront dans la solitude sous les
heures nocturnes, s'ils se regardent dans une glace; saint Augustin et
sainte Therese ne l'ont-ils pas vue apparaitre a minuit dans le delire
des ivresses amoureuses."
Ici finissait la page. Deja plus d'une fois on avait parle a Lu
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