t qu'il allait mourir, elle voulait le revoir et lui
dire adieu; d'ailleurs, s'il mourait, c'etait pour elle. Pouvait-elle
moins faire pour lui? pour un homme qui l'avait aimee sans oser le lui
dire? car elle ne s'y etait pas trompee. Et puis, n'etait-ce pas cet
amour qui lui avait mis l'epee a la main?
C'etait un peu avant la nuit; une soeur de Charite vint ouvrir. M. de
La Grange, comme autrefois l'ami de Moliere, avait des sentiments
religieux. Dans son pieux souvenir pour sa mere, qui etait morte jeune,
il n'avait pas quitte Dieu, croyant se sentir plus pres d'elle. Lucia
fut heureuse, dans son chagrin, de voir cette soeur de Charite.
--Comment va-t-il, demanda-t-elle?
--Une horrible blessure, un peu plus il etait frappe au coeur.
Lucia s'avanca chancelante au lit du blesse.
"C'est vous!--Oui, c'est moi, parce que je veux vous empecher de
mourir."
Lucia fut si douce et si charmante que la soeur de Charite, en la
reconduisant, lui dit: "Depuis une heure que vous etes avec lui, c'est
une resurrection. Surtout revenez demain."
Elle y retourna le lendemain, puis le surlendemain, puis toute la
semaine, puis toute la semaine qui suivit. On avait juge la blessure
mortelle, mais la jeunesse fait des miracles.
Quand M. de La Grange fut sur pied, Lucia lui dit: "Je ne reviendrai
plus.--Helas! pourquoi ne suis-je pas mort de ma blessure, dit le
comedien avec desespoir." Le lendemain elle ne revint pas. Lui, a son
tour, il alla sonner a sa porte a l'hotel du Louvre. Comme elle etait
seule, elle refusa de le recevoir. Mais elle avait ouvert la porte, il
lui prit la main, elle palit et elle ne ferma la porte qu'apres qu'il
fut entre. Que se dirent-ils? Il lui parla avec l'eloquence du coeur. Il
se maudit d'avoir pris le metier de comedien plutot que celui de soldat.
Il mit en jeu de si beaux sentiments que Lucia fut touchee jusqu'aux
larmes. Une femme qui pleure est sauvee, mais une femme qui pleure est
perdue.
--Nous ne nous reverrons jamais, dit Lucia, quand le comedien s'en alla;
d'ailleurs, je pars ce soir, car je ne veux pas que ma tante ou mes
cousines me trouvent a Paris, ou je me suis cachee pour vous.
M. de La Grange eut beau supplier, elle partit le soir meme, croyant se
degager ainsi du reseau de feu qui la brulait. Mais plus elle s'eloigna
de lui, plus elle le sentit dans son coeur et dans son ame. L'amour nous
fait encore croire a la fatalite des anciens: quand il nous touche il
est notre maitre
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