Les Arabes, epouvantes, se regardaient; et l'un dit, en sa langue: "La
mort est sur nous." Et voila que tout a coup mon compagnon, mon ami,
presque mon frere, tomba de cheval, la tete en avant, foudroye par une
insolation.
Et pendant deux heures, pendant que j'essayais en vain de le sauver,
toujours ce tambour insaisissable m'emplissait l'oreille de son bruit
monotone, intermittent et incomprehensible; et je sentais se glisser
dans mes os la peur, la vraie peur, la hideuse peur, en face de ce
cadavre aime, dans ce trou incendie par le soleil entre quatre monts de
sable, tandis que l'echo inconnu nous jetait, a deux cents lieues de
tout village francais, le battement rapide du tambour.
Ce jour-la, je compris ce que c'etait que d'avoir peur; je l'ai su
mieux encore une autre fois...
Le commandant interrompit le conteur:
--Pardon, monsieur, mais ce tambour? Qu'etait-ce?
Le voyageur repondit:
--Je n'en sais rien. Personne ne sait. Les officiers, surpris souvent
par ce bruit singulier, l'attribuent generalement a l'echo grossi,
multiplie, demesurement enfle par les valonnements des dunes, d'une
grele de grains de sable emportes dans le vent et heurtant une touffe
d'herbes seches; car on a toujours remarque que le phenomene se produit
dans le voisinage de petites plantes brulees par le soleil, et dures
comme du parchemin.
Ce tambour ne serait donc qu'une sorte de mirage du son. Voila tout.
Mais je n'appris cela que plus tard.
J'arrive a ma seconde emotion.
C'etait l'hiver dernier, dans une foret du nord-est de la France. La
nuit vint deux heures plus tot, tant le ciel etait sombre. J'avais pour
guide un paysan qui marchait a mon cote, par un tout petit chemin, sous
une voute de sapins dont le vent dechaine tirait des hurlements. Entre
les cimes, je voyais courir des nuages en deroute, des nuages eperdus
qui semblaient fuir devant une epouvante. Parfois, sous une immense
rafale, toute la foret s'inclinait dans le meme sens avec un gemissement
de souffrance; et le froid m'envahissait, malgre mon pas rapide et mon
lourd vetement.
Nous devions souper et coucher chez un garde forestier dont la maison
n'etait plus eloignee de nous. J'allais la pour chasser.
Mon guide, parfois, levait les yeux et murmurait: "Triste temps!" Puis
il me parla des gens chez qui nous arrivions. Le pere avait tue un
braconnier deux ans auparavant, et, depuis ce temps, il semblait
sombre, comme hante d'un souvenir. Ses deux fils
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