le pliee, et
les camarades lui conseillerent de mouiller sans cesse la blessure pour
empecher le mal noir.
On mit un seau aupres de lui, et, de minute en minute, il puisait dedans
au moyen d'un verre, et baignait l'horrible plaie en laissant couler
dessus un petit filet d'eau claire.
--Tu serais mieux en bas, lui dit son frere. Il descendit, mais au bout
d'une heure il remonta, ne se sentant pas bien tout seul. Et puis, il
preferait le grand air. Il se rassit sur sa voile et recommenca a
bassiner son bras.
La peche etait bonne. Les larges poissons a ventre blanc gisaient a cote
de lui, secoues par des spasmes de mort; il les regardait sans cesser
d'arroser ses chairs ecrasees.
* * * * *
Comme on allait regagner Boulogne, un nouveau coup de vent se dechaina;
et le petit bateau recommenca sa course folle, bondissant et culbutant,
secouant le triste blesse.
La nuit vint. Le temps fut gros jusqu'a l'aurore. Au soleil levant on
apercevait de nouveau l'Angleterre, mais, comme la mer etait moins dure,
on repartit pour la France en louvoyant.
Vers le soir, Javel cadet appela ses camarades et leur montra des traces
noires, toute une vilaine apparence de pourriture sur la partie du
membre qui ne tenait plus a lui.
Les matelots regardaient, disant leur avis.
"--Ca pourrait bien etre le Noir", pensait l'un.
"--Faudrait de l'eau salee la-dessus", declarait un autre.
On apporta donc de l'eau salee et on en versa sur le mal. Le blesse
devint livide, grinca des dents, se tordit un peu; mais il ne cria pas.
Puis, quand la brulure se fut calmee: "Donne-moi ton couteau", dit-il a
son frere. Le frere tendit son couteau.
"Tiens-moi le bras en l'air, tout drait, tire dessus."
On fit ce qu'il demandait.
Alors il se mit a couper lui-meme. Il coupait doucement, avec reflexion,
tranchant les derniers tendons avec cette lame aigue, comme un fil de
rasoir; et bientot il n'eut plus qu'un moignon. Il poussa un profond
soupir et declara. "Fallait ca. J'etais foutu".
Il semblait soulage et respirait avec force. Il recommenca a verser de
l'eau sur le troncon de membre qui lui restait.
La nuit fut mauvaise encore et on ne put atterrir.
Quand le jour parut, Javel cadet prit son bras detache et l'examina
longuement. La putrefaction se declarait. Les camarades vinrent aussi
l'examiner, et ils se le passaient de main en main, le tataient, le
retournaient, le flairaient.
Son frere dit
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