ma part, sur la conscience une tres vilaine histoire
que je veux vous dire. C'est pour moi un remords incessant, plus que
cela, c'est un doute continuel, une inapaisable incertitude qui,
parfois, me torture horriblement.
A l'age de vingt-cinq ans j'avais entrepris avec un de mes amis,
aujourd'hui conseiller d'Etat, un voyage en Bretagne, a pied.
* * * * *
Apres quinze ou vingt jours de marche forcenee, apres avoir visite les
Cotes-du-Nord et une partie du Finistere, nous arrivions a Douarnenez;
de la, en une etape, on gagna la sauvage pointe du Raz par la baie des
Trepasses, et on coucha dans un village quelconque dont le nom finissait
en _of_; mais, le matin venu, une fatigue etrange retint au lit mon
camarade. Je dis au lit par habitude, car notre couche se composait
simplement de deux bottes de paille.
Impossible d'etre malade en ce lieu. Je le forcai donc a se lever, et
nous parvinmes a Audierne vers quatre ou cinq heures du soir.
Le lendemain, il allait un peu mieux; on repartit; mais, en route, il
fut pris de malaises intolerables, et c'est a grand'peine que nous pumes
atteindre Pont-Labbe.
La, au moins, nous avions une auberge. Mon ami se coucha, et le medecin,
qu'on fit venir de Quimper, constata une forte fievre, sans en
determiner la nature.
Connaissez-vous Pont-Labbe?--Non.--Eh bien, c'est la ville la plus
bretonne de toute cette Bretagne bretonnante qui va de la pointe du Raz
au Morbihan, de cette contree qui contient l'essence des moeurs, des
legendes, des coutumes bretonnes. Encore aujourd'hui, ce coin de pays
n'a presque pas change. Je dis: _encore aujourd'hui_, car j'y retourne a
present tous les ans, helas!
Un vieux chateau baigne le pied de ses tours dans un grand etang triste,
triste, avec des vols d'oiseaux sauvages. Une riviere sort de la que
les caboteurs peuvent remonter jusqu'a la ville. Et dans les rues
etroites aux maisons antiques, les hommes portent le grand chapeau, le
gilet brode et les quatre vestes superposees: la premiere, grande comme
la main, couvrant au plus les omoplates, et la derniere s'arretant juste
au-dessus du fond de culotte.
Les filles, grandes, belles, fraiches, ont la poitrine ecrasee dans un
gilet de drap qui forme cuirasse, les etreint, ne laissant meme pas
deviner leur gorge puissante et martyrisee; et elles sont coiffees d'une
etrange facon: sur les tempes, deux plaques brodees en couleur encadrent
le visage, serrent l
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