venue qui le faisait etouffer de rire: "C'est ca, c'est
ca, saint Antoine et son cochon. V'la mon cochon." Et les trois
serviteurs eclaterent a leur tour.
Le vieux etait si content qu'il fit apporter l'eau-de-vie, la bonne, le
fil en dix, et qu'il en regala tout le monde. On trinqua avec le
Prussien, qui claqua de la langue par flatterie, pour indiquer qu'il
trouvait ca fameux. Et Saint-Antoine lui criait dans le nez: "Hein? En
v'la d'la fine. T'en bois pas comme ca chez toi, mon cochon."
* * * * *
Des lors, le pere Antoine ne sortit plus sans son Prussien. Il avait
trouve la son affaire, c'etait sa vengeance a lui, sa vengeance de gros
malin. Et tout le pays, qui crevait de peur, riait a se tordre derriere
le dos des vainqueurs de la farce de Saint-Antoine. Vraiment, dans la
plaisanterie il n'avait pas son pareil. Il n'y avait que lui pour
inventer des choses comme ca. Cre coquin, va!
Il s'en allait chez les voisins, tous les jours apres midi, bras dessus
bras dessous avec son Allemand qu'il presentait d'un air gai en lui
tapant sur l'epaule: "--Tenez, v'la mon cochon, r'gardez-moi s'il
engraisse c't'animal-la."
Et les paysans s'epanouissaient.--Est-il donc rigolo, ce bougre
d'Antoine!
--J'te l'vend, Cesaire, trois pistoles.
--Je l'prends, Antoine, et j't'invite a manger du boudin.
--Me, c'que j'veux, c'est d'ses pieds.
--Tate li l'ventre, tu verras qu'il n'a que d'la graisse."
Et tout le monde clignait de l'oeil sans rire trop haut cependant, de
peur que le Prussien devinat a la fin qu'on se moquait de lui. Antoine
seul, s'enhardissant tous les jours, lui pincait les cuisses en criant:
"Rien qu'du gras"; lui tapait sur le derriere en hurlant: "Tout ca d'la
couenne"; l'enlevait dans ses bras de vieux colosse capable de porter
une enclume en declarant: "Il pese six cents, et pas de dechet."
Et il avait pris l'habitude de faire offrir a manger a son cochon
partout ou il entrait avec lui. C'etait la le grand plaisir, le grand
divertissement de tous les jours: "--Donnez-li de c'que vous voudrez, il
avale tout." Et on offrait a l'homme du pain et du beurre, des pommes de
terre, du fricot froid, de l'andouille qui faisait dire: "--De la votre,
et du choix."
Le soldat, stupide et doux, mangeait par politesse, enchante de ces
attentions, se rendait malade pour ne pas refuser; et il engraissait
vraiment, serre maintenant dans son uniforme, ce qui ravissait
Saint-Antoine
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