chemise, dans ma chambre ou je venais de me
retirer.
Elle se jeta dans mes bras, m'etreignit passionnement, puis, jusqu'au
jour, m'embrassa, me caressa, pleurant, sanglotant, me donnant enfin
toutes les assurances de tendresse et de desespoir qu'une femme nous
peut donner quand elle ne sait pas un mot de notre langue.
Huit jours apres, j'avais oublie cette aventure, commune et frequente
quand on voyage, les servantes d'auberge etant generalement destinees a
distraire ainsi les voyageurs.
Et je fus trente ans sans y songer et sans revenir a Pont-Labbe.
Or, en 1876, j'y retournai par hasard au cours d'une excursion en
Bretagne, entreprise pour documenter un livre et pour me bien penetrer
des paysages.
Rien ne me sembla change. Le chateau mouillait toujours ses murs
grisatres dans l'etang, a l'entree de la petite ville; et l'auberge
etait la meme quoique reparee, remise a neuf, avec un air plus moderne.
En entrant, je fus recu par deux jeunes Bretonnes de dix-huit ans,
fraiches et gentilles, encuirassees dans leur etroit gilet de drap,
casquees d'argent avec les grandes plaques brodees sur les oreilles.
Il etait environ six heures du soir. Je me mis a table pour diner et,
comme le patron s'empressait lui-meme a me servir, la fatalite sans
doute me fit dire: "Avez-vous connu les anciens maitres de cette maison?
J'ai passe ici une dizaine de jours il y a trente ans maintenant. Je
vous parle de loin."
Il repondit: "C'etaient mes parents, monsieur."
Alors je lui racontai en quelle occasion je m'etais arrete, comment
j'avais ete retenu par l'indisposition d'un camarade. Il ne me laissa
pas achever.
"--Oh! je me rappelle parfaitement J'avais alors quinze ou seize ans.
Vous couchiez dans la chambre du fond et votre ami dans celle dont j'ai
fait la mienne, sur la rue."
C'est alors seulement que le souvenir tres vif de la petite bonne me
revint. Je demandai: "--Vous rappelez-vous une gentille petite servante
qu'avait alors votre pere, et qui possedait, si ma memoire ne me
trompe, de jolis yeux bleus et des dents fraiches?"
Il reprit: "--Oui, monsieur; elle est morte en couches quelque temps
apres."
Et, tendant la main vers la cour ou un homme maigre et boiteux remuait
du fumier, il ajouta: "--Voila son fils."
Je me mis a rire. "--Il n'est pas beau et ne ressemble guere a sa mere.
Il tient du pere sans doute."
L'aubergiste reprit: "--Ca se peut bien; mais on n'a jamais su a qui
c'etait. Elle est mor
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