e, d'un scepticisme precis et mordant, habile surtout
a desarticuler d'un mot les hypocrisies mondaines. Il repetait souvent:
"Il n'y a pas d'hommes honnetes; ou du moins ils ne le sont que
relativement aux crapules."
Il avait deux freres qu'il ne voyait point, MM. de Courcils. Je le
croyais d'un autre lit, vu leurs noms differents. On m'avait dit a
plusieurs reprises qu'une histoire etrange s'etait passee en cette
famille, mais sans donner aucun detail.
Cet homme me plaisant tout a fait, nous fumes bientot lies. Un soir,
comme j'avais dine chez lui en tete-a-tete, je lui demandai par hasard:
"Etes-vous ne du premier ou du second mariage de madame votre mere?" Je
le vis palir un peu, puis rougir; et il demeura quelques secondes sans
parler, visiblement embarrasse. Puis il sourit d'une facon melancolique
et douce qui lui etait particuliere, et il dit: "Mon cher ami, si cela
ne vous ennuie point, je vais vous donner sur mon origine des details
bien singuliers. Je vous sais un homme intelligent, je ne crains donc
pas que votre amitie en souffre, et si elle en devait souffrir, je ne
tiendrais plus alors a vous avoir pour ami."
Ma mere, Mme de Courcils, etait une pauvre petite femme timide, que son
mari avait epousee pour sa fortune. Toute sa vie fut un martyre. D'ame
aimante, craintive, delicate, elle fut rudoyee sans repit par celui
qui aurait du etre mon pere, un de ces rustres qu'on appelle des
gentilshommes campagnards. Au bout d'un mois de mariage, il vivait avec
une servante. Il eut en outre pour maitresses les femmes et les filles
de ses fermiers; ce qui ne l'empecha point d'avoir deux enfants de sa
femme; on devrait compter trois, en me comprenant. Ma mere ne disait
rien; elle vivait dans cette maison toujours bruyante comme ces petites
souris qui glissent sous les meubles. Effacee, disparue, fremissante,
elle regardait les gens de ses yeux inquiets et clairs, toujours
mobiles, des yeux d'etre effare que la peur ne quitte pas. Elle etait
jolie pourtant, fort jolie, toute blonde d'un blond gris, d'un blond
timide; comme si ses cheveux avaient ete un peu decolores par ses
craintes incessantes.
Parmi les amis de M. de Courcils qui venaient constamment au chateau se
trouvait un ancien officier de cavalerie, veuf, homme redoute, tendre et
violent, capable des resolutions les plus energiques, M. de Bourneval,
dont je porte le nom. C'etait un grand gaillard maigre, avec de grosses
moustaches noires. Je lui ressembl
|