enfant, que c'etait une horreur,
une salete, une corromperie.
Et parfois elle prenait en ses bras son Charlot avec ostentation, lui
criant, comme s'il eut compris:
--J'tai pas vendu, me, j't'ai pas vendu, mon p'tiot. J'vends pas m's
efants, me. J'sieus pas riche, mais vends pas m's efants.
Et, pendant des annees et encore des annees, ce fut ainsi chaque jour;
chaque jour des allusions grossieres etaient vociferees devant la porte,
de facon a entrer dans la maison voisine. La mere Tuvache avait fini par
se croire superieure a toute la contree parce qu'elle n'avait pas vendu
Charlot. Et ceux qui parlaient d'elle disaient:
--J'sais ben que c'etait engageant, c'est egal, elle s'a conduite comme
une bonne mere.
On la citait; et Charlot, qui prenait dix-huit ans, eleve avec cette
idee qu'on lui repetait sans repit, se jugeait lui-meme superieur a ses
camarades parce qu'on ne l'avait pas vendu.
* * * * *
Les Vallin vivotaient a leur aise, grace a la pension. La fureur
inapaisable des Tuvache, restes miserables, venait de la.
Leur fils aine partit au service. Le second mourut; Charlot resta seul a
peiner avec le vieux pere pour nourrir la mere et deux autres soeurs
cadettes qu'il avait.
Il prenait vingt et un ans, quand, un matin, une brillante voiture
s'arreta devant les deux chaumieres. Un jeune monsieur, avec une chaine
de montre en or, descendit, donnant la main a une vieille dame en
cheveux blancs. La vieille dame lui dit:
--C'est la, mon enfant, a la seconde maison.
Et il entra comme chez lui dans la masure des Vallin.
La vieille mere lavait ses tabliers; le pere infirme sommeillait pres de
l'atre. Tous deux leverent la tete, et le jeune homme dit:
--Bonjour, papa; bonjour, maman.
Ils se dresserent, effares. La paysanne laissa tomber d'emoi son savon
dans son eau et balbutia:
--C'est-i te, m'n efant? C'est-i te, m'n efant?
Il la prit dans ses bras et l'embrassa, en repetant:--"Bonjour, maman."
Tandis que le vieux, tout tremblant, disait, de son ton calme qu'il ne
perdait jamais:--"Te v'la-t-il revenu, Jean?" Comme s'il l'avait vu un
mois auparavant.
Et, quand ils se furent reconnus, les parents voulurent tout de suite
sortir le fieu dans le pays pour le montrer. On le conduisit chez le
maire, chez l'adjoint, chez le cure, chez l'instituteur.
Charlot, debout sur le seuil de sa chaumiere, le regardait passer.
Le soir, au souper, il dit aux vieux:
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