une femme, et de l'autre il suivait le chant
des cors et la voix des chiens qui s'eloignaient.
"Vous ne m'aimez donc plus?" disait-elle.
Il repondait: "Pouvez-vous dire des choses pareilles?"
Elle reprenait: "La chasse cependant semble vous occuper plus que moi."
Il gemissait: "Ne m'avez-vous point donne l'ordre d'abattre moi-meme
l'animal?"
Et elle ajoutait gravement: "Mais j'y compte. Il faut que vous le tuiez
devant moi."
Alors il fremissait sur sa selle, piquait son cheval qui bondissait et,
perdant patience: "Mais sacristi! madame, cela ne se pourra pas si nous
restons ici."
Puis elle lui parlait tendrement, posant la main sur son bras, ou
flattant, comme par distraction, la criniere de son cheval.
Et elle lui jetait, en riant: "Il faut que cela soit pourtant... ou
alors... tant pis pour vous."
Puis ils tournerent a droite dans un petit chemin couvert, et soudain,
pour eviter une branche qui barrait la route, elle se pencha sur lui, si
pres qu'il sentit sur son cou le chatouillement des cheveux. Alors
brutalement il l'enlaca, et appuyant sur la tempe ses grandes
moustaches, il la baisa d'un baiser furieux.
Elle ne remua point d'abord, restant ainsi sous cette caresse emportee;
puis, d'une secousse, elle tourna la tete, et, soit hasard, soit
volonte, ses petites levres a elle rencontrerent ses levres a lui, sous
leur cascade de poils blonds.
Alors, soit confusion, soit remords, elle cingla le flanc de son cheval,
qui partit au grand galop. Ils allerent ainsi longtemps, sans echanger
meme un regard.
Le tumulte de la chasse se rapprochait; les fourres semblaient fremir,
et tout a coup, brisant les branches, couvert de sang, secouant les
chiens qui s'attachaient a lui, le sanglier passa.
Alors le baron, poussant un rire de triomphe, cria: "Qui m'aime me
suive!" Et il disparut dans les taillis, comme si la foret l'eut
englouti.
Quand elle arriva, quelques minutes plus tard, dans une clairiere, il se
relevait souille de boue, la jaquette dechiree, les mains sanglantes,
tandis que la bete etendue portait dans l'epaule le couteau de chasse
enfonce jusqu'a la garde.
La curee se fit aux flambeaux par une nuit douce et melancolique. La
lune jaunissait la flamme rouge des torches qui embrumaient la nuit de
leur fumee resineuse. Les chiens mangeaient les entrailles puantes du
sanglier, et criaient, et se battaient. Et les piqueurs et les
gentilshommes chasseurs, en cercle autour de la curee, s
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