faire
languir. Il fermait les yeux dans un bien-etre exquis; et il revait
doucement dans l'attente delicieuse de la chose tant desiree. Mais peu a
peu ses membres s'engourdirent, sa pensee s'assoupit, devint incertaine,
flottante. La puissante fatigue enfin le terrassa; il s'endormit.
Il dormit du lourd sommeil, de l'invincible sommeil des chasseurs
extenues. Il dormit jusqu'a l'aurore.
Tout a coup, la fenetre etant restee entr'ouverte, un coq, perche dans
un arbre voisin, chanta. Alors brusquement, surpris par ce cri sonore,
le baron ouvrit les yeux.
Sentant contre lui un corps de femme, se trouvant en un lit qu'il ne
reconnaissait pas, surpris et ne se souvenant plus de rien, il balbutia,
dans l'effarement du reveil:
"--Quoi? Ou suis-je? Qu'y a-t-il?"
Alors elle, qui n'avait point dormi, regardant cet homme depeigne, aux
yeux rouges, a la levre epaisse, repondit, du ton hautain dont elle
parlait a son mari:
"--Ce n'est rien. C'est un coq qui chante. Rendormez-vous, monsieur,
cela ne vous regarde pas."
UN FILS
_A Rene Maizeroy._
Ils se promenaient, les deux vieux amis, dans le jardin tout fleuri ou
le gai Printemps remuait de la vie.
L'un etait Senateur, et l'autre de l'Academie francaise, graves tous
deux, pleins de raisonnements tres logiques mais solennels, gens de
marque et de reputation.
Ils parloterent d'abord de politique, echangeant des pensees, non pas
sur des Idees, mais sur des hommes: les personnalites, en cette matiere,
primant toujours la Raison. Puis ils souleverent quelques souvenirs;
puis ils se turent, continuant a marcher cote a cote, tout amollis par
la tiedeur de l'air.
Une grande corbeille de ravenelles exhalait des souffles sucres et
delicats; un tas de fleurs de toute race et de toute nuance jetaient
leurs odeurs dans la brise, tandis qu'un faux-ebenier, vetu de grappes
jaunes, eparpillait au vent sa fine poussiere, une fumee d'or qui
sentait le miel et qui portait, pareille aux poudres caressantes des
parfumeurs, sa semence enbaumee a travers l'espace.
Le senateur s'arreta, huma le nuage fecondant qui flottait, considera
l'arbre amoureux resplendissant comme un soleil et dont les germes
s'envolaient. Et il dit: "Quand on songe que ces imperceptibles atomes,
qui sentent bon, vont creer des existences a des centaines de lieues
d'ici, vont faire tressaillir les fibres et les seves d'arbres femelles
et produire des etres a racines, naissant d'un germe c
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