s'aimer jusqu'a leur mort et m'aimer encore dans mon cercueil.
Tels sont ma derniere pensee et mon dernier desir.
"MATHILDE DE CROIXLUCE."
* * * * *
M. de Courcils s'etait leve; il cria: "C'est la le testament d'une
folle!" Alors M. de Bourneval fit un pas et declara d'une voix forte,
d'une voix tranchante: "Moi, Simon de Bourneval, je declare que cet
ecrit ne renferme que la stricte verite. Je suis pret a le prouver meme
par les lettres que j'ai."
Alors M. de Courcils marcha vers lui. Je crus qu'ils allaient se
colleter. Ils etaient la, grands tous deux, l'un gros, l'autre maigre,
fremissants. Le mari de ma mere articula en begayant: "Vous etes un
miserable!" L'autre prononca du meme ton vigoureux et sec: "Nous nous
retrouverons autre part, monsieur. Je vous aurais deja soufflete et
provoque depuis longtemps si je n'avais tenu avant tout a la
tranquillite, durant sa vie, de la pauvre femme que vous avez tant fait
souffrir."
Puis il se tourna vers moi: "Vous etes mon fils. Voulez-vous me suivre?
Je n'ai pas le droit de vous emmener, mais je le prends, si vous voulez
bien m'accompagner."
Je lui serrai la main sans repondre. Et nous sommes sortis ensemble.
J'etais, certes, aux trois quarts fou.
Deux jours plus tard M. de Bourneval tuait en duel M. de Courcils. Mes
freres, par crainte d'un affreux scandale, se sont tus. Je leur ai cede
et ils ont accepte la moitie de la fortune laissee par ma mere.
J'ai pris le nom de mon pere veritable, renoncant a celui que la loi me
donnait et qui n'etait pas le mien.
M. de Bourneval est mort depuis cinq ans. Je ne suis point encore
console.
* * * * *
Il se leva, fit quelques pas, et, se placant en face de moi: "Eh bien,
je dis que le testament de ma mere est une des choses les plus belles,
les plus loyales, les plus grandes qu'une femme puisse accomplir.
N'est-ce pas votre avis?"
Je lui tendis les deux mains: "Oui, certainement, mon ami."
AUX CHAMPS
_A Octave Mirbeau._
Les deux chaumieres etaient cote a cote, au pied d'une colline, proches
d'une petite ville de bains. Les deux paysans besognaient dur sur la
terre infeconde pour elever tous leurs petits. Chaque menage en avait
quatre. Devant les deux portes voisines, toute la marmaille grouillait
du matin au soir. Les deux aines avaient six ans et les deux cadets
quinze mois environ; les mariages et, ensuite les naissances,
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