s'etaient
produites a peu pres simultanement dans l'une et l'autre maison.
Les deux meres distinguaient a peine leurs produits dans le tas; et les
deux peres confondaient tout a fait. Les huit noms dansaient dans leur
tete, se melaient sans cesse; et, quand il fallait en appeler un, les
hommes souvent en criaient trois avant d'arriver au veritable.
La premiere des deux demeures, en venant de la station d'eaux de
Rolleport, etait occupee par les Tuvache, qui avaient trois filles et un
garcon; l'autre masure abritait les Vallin, qui avaient une fille et
trois garcons.
Tout cela vivait peniblement de soupe, de pommes de terre et de grand
air. A sept heures, le matin, puis a midi, puis a six heures, le soir,
les menageres reunissaient leurs mioches pour donner la patee, comme des
gardeurs d'oies assemblent leurs betes. Les enfants etaient assis, par
rang d'age, devant la table en bois, vernie par cinquante ans d'usage.
Le dernier moutard avait a peine la bouche au niveau de la planche. On
posait devant eux l'assiette creuse pleine de pain molli dans l'eau ou
avaient cuit les pommes de terre, un demi-chou et trois oignons; et
toute la ligne mangeait jusqu'a plus faim. La mere empatait elle-meme le
petit. Un peu de viande au pot-au-feu, le dimanche, etait une fete pour
tous; et le pere, ce jour-la, s'attardait au repas en repetant: "Je m'y
ferais bien tous les jours."
Par un apres-midi du mois d'aout, une legere voiture s'arreta
brusquement devant les deux chaumieres, et une jeune femme, qui
conduisait elle-meme, dit au monsieur assis a cote d'elle:
--Oh! regarde, Henri, ce tas d'enfants! Sont-ils jolis, comme ca, a
grouiller dans la poussiere!
L'homme ne repondit rien, accoutume a ces admirations qui etaient une
douleur et presque un reproche pour lui.
La jeune femme reprit:
--Il faut que je les embrasse! Oh! comme je voudrais en avoir un,
celui-la, le tout petit.
Et, sautant de la voiture, elle courut aux enfants, prit un des deux
derniers, celui des Tuvache, et, l'enlevant dans ses bras, elle le baisa
passionnement sur ses joues sales, sur ses cheveux blonds frises et
pommades de terre, sur ses menottes qu'il agitait pour se debarrasser
des caresses ennuyeuses.
Puis elle remonta dans sa voiture et partit au grand trot. Mais elle
revint la semaine suivante, s'assit elle-meme par terre, prit le moutard
dans ses bras, le bourra de gateaux, donna des bonbons a tous les
autres; et joua avec eux comme une
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