mponnez-vous, il a invente le
saoulometre.
L'instrument n'existe pas, mais les observations de Mathieu sont aussi
precises que celles d'un mathematicien.
Vous l'entendez dire sans cesse:--"D'puis lundi, j'ai passe
quarante-cinq."
Ou bien:--"J'etais entre cinquante-deux et cinquante-huit."
Ou bien:--"J'en avais bien soixante-six a soixante-dix."
Ou bien:--"Cre coquin, je m'croyais dans les cinquante, v'la que
j'm'apercois qu'j'etais dans les soixante-quinze!"
Jamais il ne se trompe.
Il affirme n'avoir pas atteint le metre, mais comme il avoue que ses
observations cessent d'etre precises quand il a passe quatre-vingt-dix,
on ne peut se fier absolument a son affirmation.
Quand Mathieu reconnait avoir passe quatre-vingt-dix, soyez tranquille,
il etait cranement gris.
Dans ces occasions-la, sa femme, Melie, une autre merveille, se met en
des coleres folles. Elle l'attend sur sa porte, quand il rentre, et elle
hurle:--"Te voila, salaud, cochon, bougre d'ivrogne!"
Alors Mathieu, qui ne rit plus, se campe en face d'elle, et, d'un ton
severe:--"Tais-toi, Melie, c'est pas le moment de causer. Attends a
d'main."
Si elle continue a vociferer, il s'approche et, la voix
tremblante:--"Gueule plus; j'suis dans les quatre-vingt-dix; je
n'mesure plus; j'vas cogner, prends garde!"
Alors, Melie bat en retraite.
Si elle veut, le lendemain, revenir sur ce sujet, il lui rit au nez et
repond:--"Allons, allons! assez cause; c'est passe. Tant qu'jaurai pas
atteint le metre, y a pas de mal. Mais, si j'passe le metre, j'te
permets de m'corriger, ma parole!"
* * * * *
Nous avions gagne le sommet de la cote. La route s'enfoncait dans
l'admirable foret de Roumare.
L'automne, l'automne merveilleux, melait son or et sa pourpre aux
dernieres verdures restees vives, comme si des gouttes de soleil fondu
avaient coule du ciel dans l'epaisseur des bois.
On traversa Duclair, puis, au lieu de continuer sur Jumieges, mon ami
tourna vers la gauche et, prenant un chemin de traverse, s'enfonca dans
le taillis.
Et bientot, du sommet d'une grande cote nous decouvrions de nouveau la
magnifique vallee de la Seine, et le fleuve tortueux s'allongeant a nos
pieds.
Sur la droite, un tout petit batiment couvert d'ardoises et surmonte
d'un clocher haut comme une ombrelle s'adossait contre une jolie maison
aux persiennes vertes, toute vetue de chevrefeuilles et de rosiers.
Une grosse voix cria: "
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