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r, il y a dix ans environ. Je l'ai ressentie l'hiver dernier, par une nuit de decembre. Et, pourtant, j'ai traverse bien des hasards, bien des aventures qui semblaient mortelles. Je me suis battu souvent. J'ai ete laisse pour mort par des voleurs. J'ai ete condamne, comme insurge, a etre pendu en Amerique, et jete a la mer du pont d'un batiment sur les cotes de Chine. Chaque fois je me suis cru perdu, j'en ai pris immediatement mon parti, sans attendrissement et meme sans regrets. Mais la peur, ce n'est pas cela. Je l'ai pressentie en Afrique. Et pourtant elle est fille du Nord; le soleil la dissipe comme un brouillard. Remarquez bien ceci, messieurs. Chez les Orientaux, la vie ne compte pour rien; on est resigne tout de suite; les nuits sont claires et vides de legendes, les ames aussi vides des inquietudes sombres qui hantent les cerveaux dans les pays froids. En Orient, on peut connaitre la panique, on ignore la peur. Eh bien! voici ce qui m'est arrive sur cette terre d'Afrique: Je traversais les grandes dunes au sud de Ouargla. C'est la un des plus etranges pays du monde. Vous connaissez le sable uni, le sable droit des interminables plages de l'Ocean. Eh bien! figurez-vous l'Ocean lui-meme devenu sable au milieu d'un ouragan; imaginez une tempete silencieuse de vagues immobiles en poussiere jaune. Elles sont hautes comme des montagnes, ces vagues inegales, differentes, soulevees tout a fait comme des flots dechaines, mais plus grandes encore, et striees comme de la moire. Sur cette mer furieuse, muette et sans mouvement, le devorant soleil du sud verse sa flamme implacable et directe. Il faut gravir ces lames de cendre d'or, redescendre, gravir encore, gravir sans cesse, sans repos et sans ombre. Les chevaux ralent, enfoncent jusqu'aux genoux, et glissent en devalant l'autre versant des surprenantes collines. Nous etions deux amis suivis de huit spahis et de quatre chameaux avec leurs chameliers. Nous ne parlions plus, accables de chaleur, de fatigue, et desseches de soif comme ce desert ardent. Soudain un de ces hommes poussa une sorte de cri; tous s'arreterent; et nous demeurames immobiles, surpris par un inexplicable phenomene connu des voyageurs en ces contrees perdues. Quelque part, pres de nous, dans une direction indeterminee, un tambour battait, le mysterieux tambour des dunes; il battait distinctement, tantot plus vibrant, tantot affaibli, arretant, puis reprenant son roulement fantastique.
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