la vague, et mort peut-etre sous les debris
de son bateau mis en pieces, est celui auquel je pense, il avait
assiste, voici dix-huit ans maintenant, a un autre drame, terrible et
simple comme sont toujours ces drames formidables des flots.
* * * * *
Javel aine etait alors patron d'un chalutier.
Le chalutier est le bateau de peche par excellence. Solide a ne craindre
aucun temps, le ventre rond, roule sans cesse par les lames comme un
bouchon, toujours dehors, toujours fouette par les vents durs et sales
de la Manche, il travaille la mer, infatigable, la voile gonflee,
trainant par le flanc un grand filet qui racle le fond de l'Ocean, et
detache et cueille toutes les betes endormies dans les roches, les
poissons plats colles au sable, les crabes lourds aux pattes crochues,
les homards aux moustaches pointues.
Quand la brise est fraiche et la vague courte, le bateau se met a
pecher. Son filet est fixe tout le long d'une grande tige de bois garnie
de fer qu'il laisse descendre au moyen de deux cables glissant sur deux
rouleaux aux deux bouts de l'embarcation. Et le bateau, derivant sous le
vent et le courant, tire avec lui cet appareil qui ravage et devaste le
sol de la mer.
Javel avait a son bord son frere cadet, quatre hommes et un mousse. Il
etait sorti de Boulogne par un beau temps clair pour jeter le chalut.
Or, bientot le vent s'eleva, et une bourrasque survenant forca le
chalutier a fuir. Il gagna les cotes d'Angleterre; mais la mer demontee
battait les falaises, se ruait contre la terre, rendait impossible
l'entree des ports. Le petit bateau reprit le large et revint sur les
cotes de France. La tempete continuait a faire infranchissables les
jetees, enveloppant d'ecume, de bruit et de danger tous les abords des
refuges.
Le chalutier repartit encore, courant sur le dos des flots, ballotte,
secoue, ruisselant, soufflete par des paquets d'eau, mais gaillard,
malgre tout, accoutume a ces gros temps qui le tenaient parfois cinq ou
six jours errant entre les deux pays voisins sans pouvoir aborder l'un
ou l'autre.
Puis enfin l'ouragan se calma comme il se trouvait en pleine mer, et,
bien que la vague fut encore forte, le patron commanda de jeter le
chalut.
Donc le grand engin de peche fut passe par-dessus bord, et deux hommes a
l'avant, deux hommes a l'arriere, commencerent a filer sur les rouleaux
les amarres qui le tenaient. Soudain il toucha le fond; mais une haute
la
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