s bouts sur leurs bras avec ceremonie. Ils etaient rouges,
bigarres, flamboyants, ces chales; et leur eclat semblait etonner les
poules noires sur le fumier, les canards au bord de la mare, et les
pigeons sur les toits de chaume.
Tout le vert de la campagne, le vert de l'herbe et des arbres, semblait
exaspere au contact de cette pourpre ardente et les deux couleurs ainsi
voisines devenaient aveuglantes sous le feu du soleil de midi.
La grande ferme paraissait attendre la-bas, au bout de la voute des
pommiers. Une sorte de fumee sortait de la porte et des fenetres
ouvertes, et une odeur epaisse de mangeaille s'exhalait du vaste
batiment, de toutes ses ouvertures, des murs eux-memes.
Comme un serpent, la suite des invites s'allongeait a travers la cour.
Les premiers, atteignant la maison, brisaient la chaine,
s'eparpillaient, tandis que la-bas il en entrait toujours par la
barriere ouverte. Les fosses maintenant etaient garnis de gamins et de
pauvres curieux; et les coups de fusil ne cessaient pas, eclatant de
tous les cotes a la fois, melant a l'air une buee de poudre et cette
odeur qui grise comme de l'absinthe.
Devant la porte, les femmes tapaient sur leurs robes pour en faire
tomber la poussiere, denouaient les oriflammes qui servaient de rubans a
leurs chapeaux, defaisaient leurs chales et les posaient sur leurs bras,
puis entraient dans la maison pour se debarrasser definitivement de ces
ornements.
La table etait mise dans la grande cuisine, qui pouvait contenir cent
personnes.
On s'assit a deux heures. A huit heures on mangeait encore. Les hommes
deboutonnes, en bras de chemise, la face rougie, engloutissaient comme
des gouffres. Le cidre jaune luisait, joyeux, clair et dore, dans les
grands verres, a cote du vin colore, du vin sombre, couleur de sang.
Entre chaque plat on faisait un trou, le trou normand, avec un verre
d'eau-de-vie qui jetait du feu dans les corps et de la folie dans les
tetes.
De temps en temps, un convive plein comme une barrique, sortait
jusqu'aux arbres prochains, se soulageait, puis rentrait avec une faim
nouvelle aux dents.
Les fermieres, ecarlates, oppressees, les corsages tendus comme des
ballons, coupees en deux par le corset, gonflees du haut et du bas,
restaient a table par pudeur. Mais une d'elles, plus genee, etant
sortie, toutes alors se leverent a la suite. Elles revenaient plus
joyeuses, pretes a rire. Et les lourdes plaisanteries commencerent.
C'etaient des
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