a ce que le plaisir du moment ne
soit pas paye cher par le chagrin de l'avenir.
En effet, madame d'Harneville, obligee, pour sa sante, de prendre le
lait deux fois par jour, s'occupa sans relache a se procurer une autre
anesse. L'affliction de Marthe fut profonde; elle se voyait privee d'une
retribution qui devait lui donner une aisance tant desiree. Deja meme,
croyant que Margot devenait sterile et d'un acces difficile, elle se
disposait a la vendre a bas prix; mais aurait-elle alors le moyen
d'acheter un autre ane pour faire ses commissions? et, si elle ne
pouvait plus les faire, la voila donc reduite a demander l'aumone, a
finir ses jours dans un hopital.... Oh! que de maux produits souvent par
la plus simple cause!
Rosine et Zelia sentirent alors toute l'importance de la faute qu'elles
avaient commise: elles ne purent supporter l'idee de causer la ruine
et le malheur de la pauvre femme qu'elles aimaient tant. La honte
momentanee d'un aveu n'etait rien en comparaison des regrets cuisants
qu'elles se preparaient par un coupable silence. Elles revelerent donc
leur secret, et decouvrirent le manege qu'elles avaient invente pour
tromper Marthe, sans reflechir a tout le mal que pouvait produire leur
etourderie. Elles recurent de leurs meres une vive remontrance: madame
de Courcelles surtout, qui etait aussi severe, aussi inexorable pour les
fautes du coeur, qu'elle etait indulgente pour de simples espiegleries,
fit connaitre a Zelia combien elle etait blesse du tour perfide qu'elle
avait ose jouer a la vieille Marthe. Elle ne lui pardonna qu'a condition
qu'elle remettrait a cette pauvre femme un quartier de la pension
qu'elle recevait pour ses menus plaisirs. Madame Berard, qui etait
revenue des eaux de Bareges, imposa la meme reparation a Rosine. Des
le soir meme, l'anesse, dont le lait n'avait pas ete tari secretement,
procura a Marthe la jouissance d'offrir a madame d'Harneville le vase
accoutume. La sante de cette dame fut entierement retablie, et Marthe
recut, outre les trente francs par mois, cinq pieces d'or, qui, avec
ses economies, et les amendes auxquelles Zelia et Rosine avaient ete
condamnees par leurs meres, composerent a la bonne vieille un petit
capital et une aisance dont avait failli la priver une simple
etourderie. Aussi, lorsque les deux jeunes espiegles, entrainees par
leur naturel et leur ardente imagination, jouaient quelques tours aux
gens du chateau, aux habitants du voisinage, elles reflechissa
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