t n'etait occupee que de
son bonheur, lui obeissait aveuglement; il lui suffisait d'un geste,
d'un seul coup d'oeil, pour comprendre ce qu'elle executait a l'instant
meme; aussi n'eprouvait-elle aucune souffrance, aucune contradiction.
Moins on resiste a obeir, plus douce est la soumission; elle devient
meme insensible, comme la roue d'une grande mecanique qui suit le
mouvement imperceptible qu'elle recoit d'une force superieure.
Erliska et Virginie s'unirent d'une amitie intime: elles ne laisserent
pas s'ecouler un seul jour sans sa voir, sans conferer ensemble sur
leurs plans d'etude, leurs projets de societe, leurs lectures cheries.
Partout on les rencontrait echangeant une fleur, un bijou, lisant le
meme livre et se faisant une mutuelle communication de leurs pensees,
de leurs reflexions. Erliska trouvait dans ce doux commerce un grand
charme, un grand profit. Virginie, dirigee par son pere, etait d'une
instruction profonde, d'un sens exquis et d'une raison imperturbable;
mais elle se gardait bien de faire sentir a son amie l'avantage qu'elle
avait sur elle, et savait descendre a son niveau, de facon que la
delicatesse n'eut point a s'en plaindre, et que l'amour-propre n'eut
jamais a souffrir.
Cependant Erliska crut s'apercevoir que sa jeune amie n'avait plus
la meme confiance, les memes epanchements. C'etait bien encore cette
amenite qui la rendait si charmante; mais ce n'etait plus le meme elan
de l'ame: une certaine contrainte, un secret embarras, se faisaient
remarquer dans la geste, dans la voix de Virginie; ses yeux ne
s'attachaient plus aussi fixement sur ceux d'Erliska. Celle-ci, dont la
susceptibilite repondait a la petulance de son imagination, pensa que sa
jeune compagne avait rencontre dans le monde quelque personne plus digne
de son amitie, et, dedaignant de s'en expliquer franchement, elle
rompit tout-a-fait, et chercha a former une autre intimite qui put la
dedommager de celle dont elle avait ete si fiere.
Elle distingua, parmi les jeunes demoiselles qu'on recevait dans la
maison de son pere, la fille d'un riche capitaliste, qui possedait un
vaste domaine a peu de distance des Tourelles; et les affinites du
voisinage, la possibilite de se voir tous les jours, firent pencher
Erliska vers la jeune Eudoxie de Freneuil. Ses parents etaient bien
plus riches que ceux de Virginie; et cet etalage de luxe et d'opulence
eblouit d'abord les yeux, mais il ne satisfait pas toujours les besoins
du coeur. Erli
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