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se refroidissait chaque jour a son egard, elle rompit ainsi qu'elle
l'avait fait avec les deux premieres.
Elle chercha donc a se lier avec des filles de magistrats, de
financiers, de negociants, parmi lesquelles son coeur, tourmenta du
besoin l'aimer, rencontra plusieurs personnes dignes de son estime et
de son amitie. Elle ferma successivement des liens qu'elle croyait
durables; mais a peine s'attachait-elle serieusement a celles que lui
offraient le plus sur gage d'une heureuse reciprocite, qu'elle voyait
ses nouvelles amies se refroidir et se separer d'elle. Ce fut au point
que dans les grandes reunions ou la presentait sa mere, elle ne recevait
plus des jeunes personnes de son age que de ces egards forces, de ces
politesses d'usage, mais pas un mot affectueux, pas un coup d'oeil
d'interet, pas le moindre serrement de main.
"Qu'ai-je donc fait? se disait alors Erliska, et qui peut m'attirer
cette espece de reprobation dont je suis accablee? Pourtant mon ame
est pure, aimante; jamais la moindre medisance n'a souille mes levres;
jamais je n'ai rompu la premiere avec celles qui m'ont si cruellement
abandonnee.... Virginie aurait-elle donc repandu sur moi des bruits
calomnieux? non, non, elle en est incapable.... Mais pourquoi s'est-elle
eloignee de moi? Elle est si bonne, si modeste, et me temoignait un
attachement si tendre!... Il faut absolument que je m'explique avec
elle, et que je sorte de cette incertitude qui me fait tant souffrir."
Le hasard servit Erliska. Un matin qu'elle sortait de son appartement,
et qu'elle remontait les bosquets qui conduisent de l'habitation des
Tourelles a la butte de Henri IV, si renommee dans le pays, elle
apercoit Virginie, un livre a la main, accompagnee d'une ancienne
gouvernante, et gagnant, tout en lisant, le sommet de cette butte
couronnee d'ormes antiques, d'ou l'on domine sur la ville de Tours et
ses environs, qui forment un des plus admirables points de vue de la
France et peut-etre de l'Europe entiere. A peine Virginie et sa fidele
compagne sont-elles assises sur un banc de verdure, qu'Erliska les
aborde en tremblant, et, s'adressant a sa premiere amie, elle lui dit
d'une voix alteree par la vive emotion qu'elle eprouvait: "Excusez-moi,
Mademoiselle, si j'ose vous interrompre dans votre lecture; mais mon ame
est trop vivement oppressee ... et je vous ai vue si souvent secourir
les etres souffrants, que j'ai pense que vous ne rejetteriez pas ma
priere.--Parlez, chere
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