votre mere?--Plus impotente qu' jamais,
monsieu l'baron: ell' ne peut plus s' servir d' ses pieds ni d' ses
bras; i' n' lui reste qu' les miens, qui, grace a Dieu, sont solides, et
n' l'i manqueront jamais." Leontine laisse tomber sur cette excellente
fille un premier regard d'interet, qui n'echappe point a l'oeil vigilant
de son pere.
Pendant tout l'ete, il ne se passa pas un seul jour sans que M. de
Brevanne et sa fille n'allassent visiter le petit champ clos, et lorsque
la moisson fut arrivee, on convint du jour ou l'on reunirait en gerbes
le produit de celle de la glaneuse. Ce fut Charles qui fit cette recolte
en presence de la famille de Brevanne. Elle passa toute esperance; car
les gerbes, transportees sous les yeux des assistants et deposees
dans la serre, ayant ete battues quelques jours apres, produisirent
vingt-cinq mesures du plus beau froment. Il est vrai que Marguerite
voulut y joindre le peu de glanes qu'elle avait faites derriere Charles,
tant elle s'interessa au produit de la gerbe.
Ces vingt-cinq mesures furent egalement renfermees dans deux grands
sacs, sur l'ouverture desquels M. de Brevanne fit apposer par Leontine
l'empreinte de sa pierre antique. Elles couvrirent, peu de temps apres,
deux arpents et demi de terre faisant partie de la reserve du baron,
et autour desquels il fit poser des bornes, afin de bien reconnaitre
l'etendue du terrain a la moisson suivante.
"Si deux mesures de ble, disait Leontine, en ont produit vingt-cinq,
celle-ci en donneront....
--A peu pres trois cents, lui repondit son pere; mais je t'ai prevenue
qu'il fallait du travail et de la patience; je ne te demande plus qu'un
an, ma fille, et tu connaitras tout mon projet." Leontine reflechit
beaucoup sur ce produit d'une seule gerbe. On ne l'entendait plus se
repandre en plaisanteries sur l'agriculture, et pendant tout
l'hiver qu'elle passa dans Paris, elle s'informait avec un interet
tres-remarquable si les bles de la reserve promettaient d'etre beaux, si
Marguerite leur donnait toujours ses soins. Enfin, a l'approche de mai,
Leontine n'exprima plus tout haut les regrets de quitter la capitale
pour aller s'enterrer a la campagne pendant tout un ete. Elle avouait
que le sejour des champs a ses attraits, ses jouissances, et qu'on
pouvait y trouver le bonheur. Elle fut la premiere a parler du jour du
depart, et parmi les livres dont elle composait ordinairement sa petite
bibliotheque de campagne, le baron fut aussi surpri
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