ee du soir,
ordinairement tres-abondante a la fin de l'ete. Tout-a-coup elle entend
les patres crier: "Garde a vous, mamzelle!... garde a vous!..." Elle se
retourne et apercoit un jeune taureau que la couleur de son fichu
avait effarouche, et qui courait sur elle en poussant d'horribles
mugissements: l'oncle d'Agathine veut avec sa canne la soustraire a
cette attaque dangereuse; mais il est renverse d'un coup de corne, qui
ne lui fait heureusement qu'une legere blessure au bras. Agathine fuit
eperdue a travers la prairie, et le taureau, plus furieux que jamais,
est au moment de l'atteindre, lorsque Dragon, le poil herisse et les
yeux flamboyants de colere, s'elance au flanc du feroce animal et lui
fait une enorme blessure qui l'arrete dans sa course. Celui-ci redouble
de mugissements et de rage; le chien, dont les elans sont prompts comme
l'eclair, evite ses ruades, lui saute a la gorge, se roule et s'enlace
avec lui sur la poussiere, ou apres mille bonds et les plus grands
efforts, il l'etend sans mouvement et sans vie. Il rejoint aussitot sa
jeune maitresse evanouie dans les bras de son oncle et des patres, lui
leche les pieds, les mains, le front, et semble, par ses caresses,
temoigner la joie qu'il eprouve.
Agathine, ayant repris ses sens, caresse et remercie l'intrepide Dragon;
mais, en passant la main sur sa tete couverte d'ecume et de poussiere,
elle s'apercoit que le chien fait un mouvement douloureux; elle decouvre
une profonde blessure qu'il avait recue dans le combat: un coup de corne
du taureau l'avait atteint derriere l'oreille, et le sang coulait en
abondance. Avec quel empressement et quel zele elle panse elle-meme
cette precieuse blessure! elle la lave d'abord a la riviere, la couvre
de son mouchoir dont elle fait une compresse, et l'enveloppe de ce fichu
rouge qui a failli causer sa mort! Regagnant ensuite avec son oncle la
manufacture, l'on y redouble de soins pour le liberateur de la jeune
personne. Le medecin veterinaire consulte declare que la blessure du
chien, quoique profonde, n'est pas mortelle; et chaque fois qu'Agathine
en renouvelait elle-meme l'appareil, elle lui repetait avec emotion:
"Bon Dragon, je te dois la vie." Et, a la honte de tant d'ingrats qui
comptent parmi les hommes, le chien fidele la regardait avec des yeux ou
brillait la joie la plus vive, et semblait lui repondre: "Je n'ai fait
que m'acquitter envers vous."
LE TABLEAU DE FENELON
OU
LA FORET DE VILLANDRY.
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