re plus d'instruction, et
se perfectionnerent dans la science chronologique; mais elles furent
gueries pour jamais de cette insupportable habitude de citer a tout
moment tel ou tel grand ecrivain, de cette ridicule mania d'etaler ce
qu'on sait, et bien souvent ce que l'on croit savoir. Elles conserverent
dans le monde cette modeste retenue qui donne le droit d'observer sans
paraitre, de profiter de tout sans rien hasarder de ce qu'on possede,
cette modestie enfin qui preserve de ce pedantisme assommant, fleau de
la societe, et dont une seule erreur et la moindre meprise font rire a
nos depens ceux-la memes que nous voulions humilier.
LES DEUX ORPHELINES
OU
LA DISCRETION.
M. de Saintene, magistrat respectable, prouvait chaque jour, par son
merite et la noble austerite de son caractere, qu'il appartenait a la
famille de Lamoignon de Malesherbes. Il n'avait pas eu d'enfants de son
mariage avec la femme qui, depuis vingt ans, embellissait ses destinees.
Ils resolurent d'adopter chacun une jeune orpheline appartenant a leurs
familles respectives, et d'en faire l'appui de leurs vieux jours. Madame
le Saintene choisit Isaure Belval, agee de dix ans, nee a Amboise,
d'honnetes negociants, mais sans fortune, et tout parut legitimer
ce choix: on n'etait pas plus sensee, plus aimante, et surtout plus
discrete que ne l'etait Isaure. Jamais elle ne s'occupait des autres
que pour leur complaire; jamais elle n'ouvrait la bouche que dans
l'intention de prevenir un reproche, de calmer une dispute, et toujours
elle savait eviter avec soin le moindre caquetage: aussi etait-elle
l'enfant bien-aimee de madame de Saintene, qui l'appelait son ange.
Le choix qu'avait fait le president, quoique seduisant au premier
apercu, n'etait pas aussi parfait. Celina Martel, agee de onze ans,
elevee dans la petite ville de Beaulieu, pres Loches, et nee d'un
fabricant de draperies mort depuis six mois, etait douee d'un naturel
enjoue, d'un esprit vif et souvent orne de piquantes saillies; mais
curieuse, inconsequente, elle reportait sans reflexion tout ce qu'elle
entendait dire, et se livrait quelquefois, dans ses recits, a des
variantes infideles, sans en prevoir le danger. Son pere adoptif, dont
elle seule avait le droit de derider le front severe, l'aimait beaucoup,
et l'appelait son lutin.
C'etait principalement pour les domestiques de la maison que notre jeune
espiegle devenait chaque jour plus redoutable. Elle les brouillait entre
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