capitale, y etalait un grand luxe: il y avait etabli
surtout un train de chasse qui pouvait le disputer a celui d'un prince,
d'un souverain meme. Nomme louvetier du departement, il faisait souvent,
autant par devoir que par plaisir, des battues dans la belle foret de
Villandry; et, de concert avec les grands proprietaires des environs, il
devait poursuivre plusieurs loups qui, depuis quelque temps, faisaient
dans le pays un ravage effrayant. Theonie et Clara obtinrent de leur
pere la permission d'aller, avec Germain, le vieux domestique, voir
defiler sur la route de Chinon ce cortege de chasseurs reunis. Elles se
faisaient une fete d'entendre le bruit des cors, les cris des piqueurs,
l'aboiement d'une meute nombreuse; de voir ce mouvement continuel
d'hommes, de chevaux et de chiens parcourant toutes les sinuosites d'un
bois immense, pour se retrouver ensuite au lieu indique ou la halte
devait avoir lieu. Le vieux serviteur accompagna donc les deux jeunes
soeurs, et jouit avec elles de ce spectacle enchanteur. On detruisit, ce
jour-la, cinq loups enormes, qui jetaient la terreur dans les bergeries
des environs. Jamais _hallali_ ne fut plus joyeux; jamais halte ne fut
plus brillante.
Mais deja la nuit, qui a cette epoque etait aussi longue que le
jour, commencait a paraitre sur l'horizon; bientot les chasseurs se
disperserent et regagnerent leurs habitations respectives. Le fidele
Germain retournait a celle de M. Germont, avec ses deux jeunes
maitresses, lorsqu'en approchant des limites de la foret ils entendirent
des cris plaintifs; ils avancent, et soudain ils apercoivent, sur le
bord de la grande route, une vieille villageoise assise, le visage cache
dans ses mains; des larmes coulaient en abondance le long de ses doigts
decharnes; et, au milieu de ses sanglots, elle invoquait le ciel, qui
venait en ce moment meme a son secours, en faisant passer devant elle
ces deux anges de bonte. "Qui vous fait pleurer de la sorte? lui
demanderent a la fois Theonie et Clara--Helas! mes bonnes demoiselles,
j'ai perdu tout ce que je possedais au monde." Les deux soeurs
l'invitent a s'expliquer; et la vieille, enhardie par leurs voix si
compatissantes, et elle-meme naturellement encline a babiller, leur
apprend d'abord qu'elle est une pauvre veuve sans enfants, et par
consequent privee de tout soutien; elle raconte ensuite qu'apres avoir
economise pendant plusieurs annees et preleve sur les besoins de sa vie
une modique somme, elle a
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