nouveaux. Dragon n'attendait plus a la porte de
la pension, ou il avait acquis ses grandes entrees; c'etait a qui
l'introduirait, des qu'il aboyait dans la rue. Reprenant alors son
panier entre ses dents, il venait le deposer, en remuant la queue,
devant sa jeune maitresse, et lui offrait de quoi augmenter son
dejeuner et celui de ses plus cheres compagnes. Le chien revenait a la
manufacture, mais sans se presser: sa commission etait faite. Aussi le
voyait-on souvent attendre sur les bords de la Loire que le bateau de
Saint-Cyr revint de son cote, pour le passer et lui eviter le grand
tour.
Tant d'instinct, de zele et de services varies rendirent Dragon fameux
dans tout le pays: on le citait comme le modele de la plus rare
intelligence. Agathine, en appuyant tendrement sa main sur sa grosse
tete velue qu'il baissait humblement, se felicitait sans cesse de
lui avoir sauve la vie, et son oncle n'appelait plus Dragon que _son
fidele_. Mais ce titre devint encore plus digne de cet animal par un
evenement inattendu dont je suis heureux de faire ici le recit.
Agathine etait sortie de pension; elle habitait chez son oncle, qu'elle
ne devait plus quitter, et dont elle se faisait un devoir, autant qu'un
plaisir, de gouverner la maison. Elle aimait a faire des promenades dans
ces riantes prairies qu'arrose la petite riviere de la _Choisille_,
vallon delicieux qui offre en quelque sorte la realite de ces
Champs-Elysees decrits dans la mythologie. Dragon l'y accompagnait
toujours, car elle ne pouvait faire un pas sans que cette excellente
bete ne courut sur ses traces, a moins que d'un seul coup d'oeil sa
maitresse ne lui defendit de la suivre; il obeissait alors, en attachant
sur elle ses regards attristes jusqu'a ce qu'il l'eut perdue de vue.
Dragon etait devenu d'une force prodigieuse; rien ne pouvait echapper
aux atteintes cruelles de ses dents quand il etait excite; mais rarement
il en avait l'occasion: son sort etait si doux a la manufacture, ou
chacun l'aimait, le caressait, ou tous les autres chiens le redoutaient
et lui paraissaient soumis! On etait a la fin du mois d'aout, epoque ou
les bestiaux de toute espece viennent dans les prairies paitre l'herbe
nouvelle. Agathine, accompagnee de son oncle et suivie du chien fidele,
longe les bords de la petite riviere et remonte jusqu'au moulin de
_Charcenay_. Elle etait simplement vetue, et portait sur ses epaules un
ample chale de merinos rouge, afin de se preserver de la ros
|