uoi gagner sa vie.
Oh! combien son anesse lui devenait chere par le prix inespere qu'on
mettait a son lait! "Je ne serai donc point obligee, se disait Marthe,
d'implorer, pendant la rigoureuse saison, les secours de mes voisins,
les aumones du pasteur! je pourrai faire ma petite provision de bois et
de farine, garnir mon saloir, et peut-etre m'acheter un nouveau jupon
de laine, pour remplacer l'ancien, si rape, si rapiece!..." Aussi, des
qu'elle etait revenue de la ville et que ses commissions lui laissaient
un instant de repos, elle accourait a l'abbaye visiter sa chere Margot,
qui se mettait a braire en la voyant, et semblait lui exprimer tout le
plaisir que lui faisait eprouver sa presence. La pauvre bete, par son
braiment reitere, demandait en meme temps a Marthe de lui procurer la
vue et l'approche de son cher anon, dont elle etait separee une grande
partie du jour, pour conserver son lait: et l'excellente femme, touchee
de cet instinct naturel qui s'exprime si vivement, meme chez les
animaux, allait detacher l'anon, qui accourait aussitot se repaitre du
lait nourricier que lui destinait la nature; mais a peine en avait-il
suce quelques gorgees et recu les tendres caresses de sa mere, qu'il
etait impitoyablement reconduit a son etable separee, ou, pour le
dedommager du larcin qu'on lui faisait eprouver, il trouvait en
abondance du son mouille, du lait caille et des herbes fraiches. On ne
negligeait rien pour que ce jeune animal souffrit le moins possible des
privations qu'il etait indispensable de lui imposer.
L'anesse remplit donc les souhaits ardents de sa pauvre maitresse: son
lait, aussi pur qu'abondant, porte matin et soir a madame d'Harneville,
retablit sa sante comme par enchantement. Deux mois s'etaient ecoules,
et Marthe avait deja recu trois pieces d'or, qu'elle conservait comme un
avare qui veille sur son tresor. Jamais elle n'avait possede une
somme aussi forte; et le troisieme mois allait s'ecouler, lorsqu'une
espieglerie de Zelia et de Rosine, dont elles etaient loin de sentir
toute l'importance, faillit priver la malheureuse femme du juste fruit
de ses sacrifices et d'une retribution si necessaire a ses besoins.
Il etait indispensable, comme on vient de le voir, de separer Margot de
son anon, qu'on ne relachait de l'endroit ou il etait retenu qu'apres
avoir rempli le vase de lait destine a madame d'Harneville. Ce n'etait
que vers le milieu du jour que la pauvre bete pouvait allaiter celui
qu'elle
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