de l'abbaye, que Rosine et Zelia, aussi
bonnes qu'elles etaient etourdies, eurent soin de porter elles-memes a
la pauvre Marthe, elle n'aurait pu supporter un manque de travail aussi
long. Mais bientot Margot, allaitant avec abondance son bel anon, fut en
etat de reprendre son service, et l'etonnante activite de sa maitresse,
son exactitude a remplir fidelement les differentes commissions qu'on
lui confiait, reparerent aisement le temps perdu.
Un evenement imprevu vint encore augmenter la satisfaction de Marthe, et
ajouter un peu d'aisance a son sort. Madame d'Harneville, proche parente
de madame de Courcelles, femme d'un avocat celebre a la cour royale
de Paris, venait d'essuyer une maladie de poitrine qui avait failli
l'enlever a sa famille. Elle etait venue, d'apres l'ordre de son
medecin, passer l'ete a la campagne, afin d'y prendre le lait d'anesse,
qui seul pouvait achever de retablir sa sante. A peine arrivee a la
terre de madame de Courcelles, ou deja elle savourait l'air pur et
delicieux de la Touraine, elle prit des informations necessaires pour se
procurer le breuvage reparateur dont elle avait besoin, et l'anesse de
la vieille Marthe lui fut indiquee, comme fraiche laitiere, et pouvant
remplir toutes les conditions necessaires. On fit donc venir la pauvre
femme, et il fut convenu qu'on lui acheterait un ane pour faire ses
commissions, auxquelles rien n'eut pu la faire renoncer; et que, pour le
loyer de son anesse, qui serait nourrie au chateau, ainsi que son anon,
elle recevrait de madame d'Harneville trente francs par mois, avec
l'espoir d'une recompense particuliere, dans le cas ou le lait de son
anesse acheverait de retablir la sante de la convalescente, si chere a
ses nombreux amis par les rares qualites qu'elle reunissait.
Ah! quelle bonne fortune pour Marthe! trente francs par mois outre ses
commissions, et un ane de plus a ses ordres! mais il fallait se separer
momentanement de Margot, si complaisante et si douce. Cette idee
tourmentait la bonne Marthe; elle ne s'y resolut que par la certitude et
le besoin de faire quelques economies pour l'hiver. Pendant les beaux
jours, elle ne manquait ni de travail ni de commissions; mais, sitot que
les premiers frimas venaient depouiller les arbres de leur feuillage et
attrister la nature, presque tous les riches proprietaires regagnaient
la ville; il ne restait plus a la campagne que les agriculteurs, qui ne
pouvaient procurer a la vieille commissionnaire de q
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