s'expliqua-t-elle que les oiseaux y
fussent moins nombreux.
C'etait son etang avec ses arbres touffus, ses grands roseaux
foisonnants, ses plantes aquatiques qui recouvraient, les eaux
d'un tapis de verdure mouvante que ce monde aile avait choisi
parce qu'il y trouvait sa nourriture aussi bien que sa securite;
et quand, une heure apres, en revenant sur ses pas, elle le revit,
a demi noye dans l'ombre du soir, si tranquille, si vert, si joli,
elle se dit qu'elle avait, eu autant d'intelligence que ces betes
de le prendre, elle aussi, pour nid.
XXI
Chez Perrine, c'etait bien souvent les evenements du jour ecoule
qui faisaient les reves de sa nuit, de sorte que les derniers mois
de sa vie ayant ete remplis par la tristesse, il en avait ete de
ses reves comme de sa vie. Que de fois, depuis que le malheur
avait commence a la frapper, s'etait-elle eveillee baignee de
sueur, etouffee par des cauchemars qui prolongeaient dans le
sommeil les miseres de la realite. A la verite, apres son arrivee
a Maraucourt, sous l'influence des pensees d'espoir qui
renaissaient en elle, comme aussi sous celle du travail, ces
cauchemars moins frequents etaient devenus moins douloureux, leur
poids avait pese moins lourdement sur elle, leurs doigts de fer
l'avaient serree moins fort a la gorge.
Maintenant lorsqu'elle s'endormait, c'etait au lendemain qu'elle
pensait, a un lendemain assure, ou bien a l'atelier, ou bien a son
ile, ou bien encore a ce qu'elle avait entrepris ou voulait
entreprendre pour ameliorer sa situation, ses espadrilles, sa
chemise, son caraco, sa jupe. Et alors son reve, comme s'il
obeissait a une suggestion mysterieuse, mettait en scene le sujet
qu'elle avait tache d'imposer a son esprit: tantot un atelier dans
lequel la baguette d'une fee remplacant le pilon de La Quille,
donnait le mouvement aux mecaniques, sans que les enfants qui les
conduisaient eussent aucune peine a prendre; tantot un lendemain
radieux, tout plein de joies pour tous; une autre fois il faisait
surgir une nouvelle ile d'une beaute surnaturelle avec des
paysages et des betes aux formes fantastiques qui n'ont de vie que
dans les reves; ou bien encore, plus terre a terre, son
imagination lui donnait a coudre des bottines merveilleuses qui
remplacaient ses espadrilles, ou des robes extraordinaires tissees
par des genies dans des cavernes de diamants et de rubis,
lesquelles robes remplaceraient a un moment donne le caraco et la
jupe en indienne
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