it a le croire. Il fit de grands serments.
Bientot il avoua quelque chose de facheux: ses parents, l'annee
derniere, lui avaient achete un homme; mais d'un jour a l'autre on
pourrait le reprendre; l'idee de servir l'effrayait. Cette couardise fut
pour Felicite une preuve de tendresse; la sienne en redoubla. Elle
s'echappait la nuit, et, parvenue au rendez-vous, Theodore la torturait
avec ses inquietudes et ses instances.
Enfin, il annonca qu'il irait lui-meme a la Prefecture prendre des
informations, et les apporterait dimanche prochain, entre onze heures et
minuit.
Le moment arrive, elle courut vers l'amoureux.
A sa place, elle trouva un de ses amis.
Il lui apprit qu'elle ne devait plus le revoir. Pour se garantir de la
conscription, Theodore avait epouse une vieille femme tres-riche, Mme
Lehoussais, de Toucques.
Ce fut un chagrin desordonne. Elle se jeta par terre, poussa des cris,
appela le bon Dieu, et gemit toute seule dans la campagne jusqu'au
soleil levant. Puis elle revint a la ferme, declara son intention d'en
partir; et, au bout du mois, ayant recu ses comptes, elle enferma tout
son petit bagage dans un mouchoir, et se rendit a Pont-l'Eveque.
Devant l'auberge, elle questionna une bourgeoise en capeline de veuve,
et qui precisement cherchait une cuisiniere. La jeune fille ne savait
pas grand'chose, mais paraissait avoir tant de bonne volonte et si peu
d'exigences, que Mme Aubain finit par dire:
"--Soit, je vous accepte!"
Felicite, un quart d'heure apres, etait installee chez elle.
D'abord elle y vecut dans une sorte de tremblement que lui causaient "le
genre de la maison" et le souvenir de "Monsieur", planant sur tout! Paul
et Virginie, l'un age de sept ans, l'autre de quatre a peine, lui
semblaient formes d'une matiere precieuse; elle les portait sur son dos
comme un cheval, et Mme Aubain lui defendit de les baiser a chaque
minute, ce qui la mortifia. Cependant elle se trouvait heureuse. La
douceur du milieu avait fondu sa tristesse.
Tous les jeudis, des habitues venaient faire une partie de boston.
Felicite preparait d'avance les cartes et les chaufferettes. Ils
arrivaient a huit heures bien juste, et se retiraient avant le coup de
onze.
Chaque lundi matin, le brocanteur qui logeait sous l'allee etalait par
terre ses ferrailles. Puis la ville se remplissait d'un bourdonnement de
voix, ou se melaient des hennissements de chevaux, des belements
d'agneaux, des grognements de cochons, a
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