upures d'une tache ovale un point noir, imperceptible, en ajoutant;
"Voici." Elle se pencha sur la carte; ce reseau de lignes coloriees
fatiguait sa vue, sans lui rien apprendre; et Bourais, l'invitant a dire
ce qui l'embarrassait, elle le pria de lui montrer la maison ou
demeurait Victor. Bourais leva les bras, il eternua, rit enormement; une
candeur pareille excitait sa joie; et Felicite n'en comprenait pas le
motif,--elle qui s'attendait peut-etre a voir jusqu'au portrait de son
neveu, tant son intelligence etait bornee!
Ce fut quinze jours apres que Liebard, a l'heure du marche comme
d'habitude, entra dans la cuisine, et lui remit une lettre qu'envoyait
son beau-frere. Ne sachant lire aucun des deux, elle eut recours a sa
maitresse.
Mme Aubain, qui comptait les mailles d'un tricot, le posa pres d'elle,
decacheta la lettre, tressaillit, et, d'une voix basse, avec un regard
profond:
--"C'est un malheur... qu'on vous annonce. Votre neveu..."
Il etait mort. On n'en disait pas davantage.
Felicite tomba sur une chaise, en s'appuyant la tete a la cloison, et
ferma ses paupieres, qui devinrent roses tout a coup. Puis, le front
baisse, les mains pendantes, l'oeil fixe, elle repetait par intervalles:
--"Pauvre petit gars! pauvre petit gars!"
Liebard la considerait en exhalant des soupirs. Mme Aubain tremblait un
peu.
Elle lui proposa d'aller voir sa soeur, a Trouville.
Felicite repondit, par un geste, qu'elle n'en avait pas besoin.
Il y eut un silence. Le bonhomme Liebard jugea convenable de se retirer.
Alors elle dit:
--"Ca ne leur fait rien, a eux!"
Sa tete retomba; et machinalement elle soulevait, de temps a autre, les
longues aiguilles sur la table a ouvrage.
Des femmes passerent dans la cour avec un bard d'ou degouttelait du linge.
En les apercevant par les carreaux, elle se rappela sa lessive; l'ayant
coulee la veille, il fallait aujourd'hui la rincer; et elle sortit de
l'appartement.
Sa planche et son tonneau etaient au bord de la Toucques. Elle jeta sur
la berge un tas de chemises, retroussa ses manches, prit son battoir; et
les coups forts qu'elle donnait s'entendaient dans les autres jardins a
cote. Les prairies etaient vides, le vent agitait la riviere; au fond,
de grandes herbes s'y penchaient, comme des chevelures de cadavres
flottant dans l'eau. Elle retenait sa douleur, jusqu'au soir fut
tres-brave; mais, dans sa chambre, elle s'y abandonna, a plat ventre sur
son matelas, le
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