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furieux se battirent, se cabraient, montaient les uns par-dessus les
autres; et leurs corps avec leurs ramures emmelees faisaient un large
monticule, qui s'ecroulait, en se deplacant.
Enfin ils moururent, couches sur le sable, la bave aux naseaux, les
entrailles sorties, et l'ondulation de leurs ventres s'abaissant par
degres. Puis tout fut immobile.
La nuit allait venir; et derriere le bois, dans les intervalles des
branches, le ciel etait rouge comme une nappe de sang.
Julien s'adossa contre un arbre. Il contemplait d'un oeil beant
l'enormite du massacre, ne comprenant pas comment il avait pu le faire.
De l'autre cote du vallon, sur le bord de la foret, il apercut un cerf,
une biche et son faon.
Le cerf, qui etait noir et monstrueux de taille, portait seize
andouillers avec une barbe blanche. La biche, blonde comme les feuilles
mortes, broutait le gazon; et le faon tachete, sans l'interrompre dans
sa marche, lui tetait la mamelle.
L'arbalete encore une fois ronfla. Le faon, tout de suite, fut tue.
Alors sa mere, en regardant le ciel, brama d'une voix profonde,
dechirante, humaine. Julien exaspere, d'un coup en plein poitrail,
l'etendit par terre.
Le grand cerf l'avait vu, fit un bond. Julien lui envoya sa derniere
fleche. Elle l'atteignit au front, et y resta plantee.
Le grand cerf n'eut pas l'air de la sentir; en enjambant par-dessus les
morts, il avancait toujours, allait fondre sur lui, l'eventrer; et
Julien reculait dans une epouvante indicible. Le prodigieux animal
s'arreta; et les yeux flamboyants, solennel comme un patriarche et comme
un justicier, pendant qu'une cloche au loin tintait, il repeta trois fois:
--"Maudit! maudit! maudit! Un jour, coeur feroce, tu assassineras ton
pere et ta mere!"
Il plia les genoux, ferma doucement ses paupieres, et mourut.
Julien fut stupefait, puis accable d'une fatigue soudaine; et un degout,
une tristesse immense l'envahit. Le front dans les deux mains, il pleura
pendant longtemps.
Son cheval etait perdu; ses chiens l'avaient abandonne; la solitude qui
l'enveloppait lui sembla toute menacante de perils indefinis. Alors,
pousse par un effroi, il prit sa course a travers la campagne, choisit
au hasard un sentier, et se trouva presque immediatement a la porte du
chateau.
La nuit, il ne dormit pas. Sous le vacillement de la lampe suspendue, il
revoyait toujours le grand cerf noir. Sa prediction l'obsedait; il se
debattait contre elle. "Non!
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