pour le frapper, et,
glissant du pied droit, tomba sur le cadavre de l'autre, la face
au-dessus de l'abime et les deux bras ecartes.
Redescendu dans la plaine, il suivit des saules qui bordaient une
riviere. Des grues, volant tres-bas, de temps a autre passaient
au-dessus de sa tete. Julien les assommait avec son fouet, et n'en
manqua pas une.
Cependant l'air plus tiede avait fondu le givre, de larges vapeurs
flottaient, et le soleil se montra. Il vit reluire tout au loin un lac
fige, qui ressemblait a du plomb. Au milieu du lac, il y avait une bete
que Julien ne connaissait pas, un castor a museau noir. Malgre la
distance, une fleche l'abattit; et il fut chagrin de ne pouvoir emporter
la peau.
Puis il s'avanca dans une avenue de grands arbres, formant avec leurs
cimes comme un arc de triomphe, a l'entree d'une foret. Un chevreuil
bondit hors d'un fourre, un daim parut dans un carrefour, un blaireau
sortit d'un trou, un paon sur le gazon deploya sa queue;--et quand il les
eut tous occis, d'autres chevreuils se presenterent, d'autres daims,
d'autres blaireaux, d'autres paons, et des merles, des geais, des
putois, des renards, des herissons, des lynx, une infinite de betes, a
chaque pas plus nombreuses. Elles tournaient autour de lui, tremblantes,
avec un regard plein de douceur et de supplication. Mais Julien ne se
fatiguait pas de tuer, tour a tour bandant son arbalete, degainant
l'epee, pointant du coutelas, et ne pensait a rien, n'avait souvenir de
quoi que ce fut. Il etait en chasse dans un pays quelconque, depuis un
temps indetermine, par le fait seul de sa propre existence, tout
s'accomplissant avec la facilite que l'on eprouve dans les reves. Un
spectacle extraordinaire l'arreta. Des cerfs emplissaient un vallon
ayant la forme d'un cirque; et tasses, les uns pres des autres, ils se
rechauffaient avec leurs haleines que l'on voyait fumer dans le brouillard.
L'espoir d'un pareil carnage, pendant quelques minutes, le suffoqua de
plaisir. Puis il descendit de cheval, retroussa ses manches, et se mit a
tirer.
Au sifflement de la premiere fleche, tous les cerfs a la fois tournerent
la tete. Il se fit des enfoncures dans leur masse; des voix plaintives
s'elevaient, et un grand mouvement agita le troupeau.
Le rebord du vallon etait trop haut pour le franchir. Ils bondissaient
dans l'enceinte, cherchant a s'echapper. Julien visait, tirait; et les
fleches tombaient comme les rayons d'une pluie d'orage. Les cer
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