non! non! je ne peux pas les tuer!" puis,
il songeait: "Si je le voulais, pourtant?..." et il avait peur que le
Diable ne lui en inspirat l'envie.
Durant trois mois, sa mere en angoisse pria au chevet de son lit, et son
pere, en gemissant, marchait continuellement dans les couloirs. Il manda
les maitres mires les plus fameux, lesquels ordonnerent des quantites de
drogues. Le mal de Julien, disaient-ils, avait pour cause un vent
funeste, ou un desir d'amour. Mais le jeune homme, a toutes les
questions, secouait la tete.
Les forces lui revinrent; et on le promenait dans la cour, le vieux
moine et le bon seigneur le soutenant chacun par un bras.
Quand il fut retabli completement, il s'obstina a ne point chasser.
Son pere, le voulant rejouir, lui fit cadeau d'une grande epee sarrasine.
Elle etait au haut d'un pilier, dans une panoplie. Pour l'atteindre, il
fallut une echelle. Julien y monta. L'epee trop lourde lui echappa des
doigts, et en tombant frola le bon seigneur de si pres que sa
houppelande en fut coupee; Julien crut avoir tue son pere, et s'evanouit.
Des lors, il redouta les armes. L'aspect d'un fer nu le faisait palir.
Cette faiblesse etait une desolation pour sa famille.
Enfin le vieux moine, au nom de Dieu, de l'honneur et des ancetres, lui
commanda de reprendre ses exercices de gentilhomme.
Les ecuyers, tous les jours, s'amusaient au maniement de la javeline.
Julien y excella bien vite. Il envoyait la sienne dans le goulot des
bouteilles, cassait les dents des girouettes, frappait a cent pas les
clous des portes.
Un soir d'ete, a l'heure ou la brume rend les choses indistinctes, etant
sous la treille du jardin, il apercut tout au fond deux ailes blanches
qui voletaient a la hauteur de l'espalier. Il ne douta pas que ce ne fut
une cigogne; et il lanca son javelot.
Un cri dechirant partit.
C'etait sa mere, dont le bonnet a longues barbes restait cloue contre le
mur.
Julien s'enfuit du chateau, et ne reparut plus.
II
Il s'engagea dans une troupe d'aventuriers qui passaient.
Il connut la faim, la soif, les fievres et la vermine. Il s'accoutuma au
fracas des melees, a l'aspect des moribonds. Le vent tanna sa peau. Ses
membres se durcirent par le contact des armures; et comme il etait
tres-fort, courageux, temperant, avise, il obtint sans peine le
commandement d'une compagnie.
Au debut des batailles, il enlevait ses soldats d'un grand geste de son
epee. Avec une corde a no
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