vers
le bois; et, quand le cerf commencait a gemir sous les morsures, il
l'abattait prestement, puis se delectait a la furie des matins qui le
devoraient, coupe en pieces sur sa peau fumante.
Les jours de brume, il s'enfoncait dans un marais pour guetter les oies,
les loutres et les halbrans.
Trois ecuyers, des l'aube, l'attendaient au bas du perron; et le vieux
moine, se penchant a sa lucarne, avait beau faire des signes pour le
rappeler, Julien ne se retournait pas. Il allait a l'ardeur du soleil,
sous la pluie, par la tempete, buvait l'eau des sources dans sa main,
mangeait en trottant des pommes sauvages, s'il etait fatigue se reposait
sous un chene; et il rentrait au milieu de la nuit, couvert de sang et
de boue, avec des epines dans les cheveux et sentant l'odeur des betes
farouches. Il devint comme elles. Quand sa mere l'embrassait, il
acceptait froidement son etreinte, paraissant rever a des choses profondes.
Il tua des ours a coups de couteau, des taureaux avec la hache, des
sangliers avec l'epieu; et meme une fois, n'ayant plus qu'un baton, se
defendit contre des loups qui rongeaient des cadavres au pied d'un gibet.
Un matin d'hiver, il partit avant le jour, bien equipe, une arbalete sur
l'epaule et un trousseau de fleches a l'arcon de la selle.
Son genet danois, suivi de deux bassets, en marchant d'un pas egal
faisait resonner la terre. Des gouttes de verglas se collaient a son
manteau, une brise violente soufflait. Un cote de l'horizon s'eclaircit;
et, dans la blancheur du crepuscule, il apercut des lapins sautillant au
bord de leurs terriers. Les deux bassets, tout de suite, se
precipiterent sur eux; et, ca et la, vivement, leurs cassaient l'echine.
Bientot, il entra dans un bois. Au bout d'une branche, un coq de bruyere
engourdi par le froid dormait la tete sous l'aile. Julien, d'un revers
d'epee, lui faucha les deux pattes, et sans le ramasser continua sa route.
Trois heures apres, il se trouva sur la pointe d'une montagne tellement
haute que le ciel semblait presque noir. Devant lui, un rocher pareil a
un long mur s'abaissait, en surplombant un precipice; et, a l'extremite,
deux boucs sauvages regardaient l'abime. Comme il n'avait pas ses
fleches (car son cheval etait reste en arriere), il imagina de descendre
jusqu'a eux; a demi courbe, pieds nus, il arriva enfin au premier des
boucs, et lui enfonca un poignard sous les cotes. Le second, pris de
terreur, sauta dans le vide. Julien s'elanca
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