sez
grandes deja. On les apercevait sur leur gazon, habillees de blouses
flottantes; elles possedaient un negre et un perroquet. Mme Aubain eut
leur visite, et ne manqua pas de la rendre. Du plus loin qu'elles
paraissaient, Felicite accourait pour la prevenir. Mais une chose etait
seule capable de l'emouvoir, les lettres de son fils.
Il ne pouvait suivre aucune carriere, etant absorbe dans les estaminets.
Elle lui payait ses dettes; il en refaisait d'autres; et les soupirs que
poussait Mme Aubain, en tricotant pres de la fenetre, arrivaient a
Felicite, qui tournait son rouet dans la cuisine.
Elles se promenaient ensemble le long de l'espalier; et causaient
toujours de Virginie, se demandant si telle chose lui aurait plu, en
telle occasion ce qu'elle eut dit probablement.
Toutes ses petites affaires occupaient un placard dans la chambre a deux
lits. Mme Aubain les inspectait le moins souvent possible. Un jour
d'ete, elle se resigna; et des papillons s'envolerent de l'armoire.
Ses robes etaient en ligne sous une planche ou il y avait trois poupees,
des cerceaux, un menage, la cuvette qui lui servait. Elles retirerent
egalement les jupons, les bas, les mouchoirs, et les etendirent sur les
deux couches, avant de les replier. Le soleil eclairait ces pauvres
objets, en faisait voir les taches, et des plis formes par les
mouvements du corps. L'air etait chaud et bleu, un merle gazouillait,
tout semblait vivre dans une douceur profonde. Elles retrouverent un
petit chapeau de peluche, a longs poils, couleur marron; mais il etait
tout mange de vermine. Felicite le reclama pour elle-meme. Leurs yeux se
fixerent l'une sur l'autre, s'emplirent de larmes; enfin la maitresse
ouvrit ses bras, la servante s'y jeta; et elles s'etreignirent,
satisfaisant leur douleur dans un baiser qui les egalisait.
C'etait la premiere fois de leur vie, Mme Aubain n'etant pas d'une
nature expansive. Felicite lui en fut reconnaissante comme d'un
bienfait, et desormais la cherit avec un devouement bestial et une
veneration religieuse.
La bonte de son coeur se developpa.
Quand elle entendait dans la rue les tambours d'un regiment en marche,
elle se mettait devant la porte avec une cruche de cidre, et offrait a
boire aux soldats. Elle soigna des choleriques. Elle protegeait les
Polonais; et meme il y en eut un qui declarait la vouloir epouser. Mais
ils se facherent; car un matin, en rentrant de l'angelus, elle le trouva
dans sa cuisine, ou il
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